"Le
groupe principal est composé de M. Savigny
au pied du mât, et de M. Corréard,
dont le bras étendu vers l'horizon et
la tête tournée vers M. Savigny
indiquent à celui-ci le côté
où se dirige un batiment aperçu
au large par deux matelots, qui lui font des
signaux avec des lambeaux d'étoffes de
couleur [...].
Croyant remarquer que la corvette signalée
fait une route opposée à celle
qu'on espère , le chirurgien Savigny
indique à ses amis qu'ils se flattent
en vain [...].
Les hommes qui agitent leurs signaux poussent
des cris de joie, auxquels répond M.Coudin,
qui se traînent jusqu'à eux. L'une
des victimes, presque mourante, entend cette
clameur, qui pénètre jusqu'au
fond de son coeur; elle lève sa tête
décolorée et semble exprimer son
bonheur par ces mots : "Au moins nous ne
mourrons pas sur ce funeste radeau."
Derrière cet homme, abattu, exténué
de maux et de besoin, un Africain n'entend rien
de tout ce qui se passe autour de lui; il est
morne, et sa figure immobile accuse la situation
de son âme.
Plus loin, dans un état d'anéantissement
et de douleur, un vieillard, tenant couché
sur ses genoux le cadavre de son fils expiré,
se refuse à toutes les impressions de
la joie que peut faire éprouver la nouvelle
de sa délivrance [...].
Enfin, ça et là, sur le premier
et le second plan, des corps morts ou des malheureux
prêts à rendre le dernier soupir."
A.Corréard et H. Savigny,
Naufrage de la frégate La Méduse,
5e édition, Paris 1821
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