Documents / Extraits de la correspondance du Duc de La Rochefoucauld (4/6)
 


IV ...ET DE LA DIFFICULTE DE LES RESOUDRE

La plupart des escapades finissent en prison à la plus grande joie de certains garnements qui s'y trouvent bien plus à l'aise que dans une salle de classe.

Feuillet 65 v°: (11 mars 1807, au Ministre de l'Intérieur).

" Trois élèves de cette Ecole, de la classe des artistes, messieurs Cornes, Barbier et Smittin de promenade avec les autres élèves le 2 mars, les ont quittés en rentrant dans la ville, on s'est aperçu promptement de leur absence, on a fait pour les trouver des perquisitions qui ont été inutiles dans la soirée. Le lendemain le commissaire de police les a fait arrêter dans les cabarets, où ils avaient passé la nuit et ils ont été ramenés à l'école dans l'état d'ivresse. Ils n'ontpas tardé à déclarer qu'ils avaient eu le projet de déserter, pour s'engager dans un régi- ment et prendre le parti des armes qui était de leur goût, ils ont été mis en prison où ils sont encore. "

Quelques parents, prévenus, se désintéressent complètement du devenir de leur progéniture :

Feuillet 53: (l mars 1807-A M. de Champagny)

"II est un objet, Monsieur, qui me semble nécessiter une décision (le votre Excellence : vous avez ordonné l'exclusion de l'Ecole de plusieurs mauvais sujets, des déserteurs habituels. En conséquence le proviseur a fait part aux parents de votre décision en les invitant à retirer les enfants qui jusque-là devaient demeurer en prison, mais quelques-uns de ces enfants n'ont pas de parents. Les parents des autres sont la plupart pauvres, d'ailleurs insouciants, et par fois d'une assez mauvaise conduite personnelle, il leur importe peu que leurs enfants restent ou non en prison, soient de bons ou de mauvais sujets, pourvu qu'ils ne soient pas à leur. charge, ils ne répondent point. Leurs enfants, ceux sans parents, condamnés aussi à l'exclusion , restent dans les prisons et finiront par embarrasser de leur présence l'administration de la maison et nous-mêmes."

Le souci principal du Duc est d'empêcher l'extension de ce véritable fléau à toute la communauté des élèves. Pour ce faire il se propose non pas de renvoyer purement et simplement les brebis galeuses mais plutôt de les affecter à une autre institution afin de corriger autant que possible leur éducation :

Feuillet 53 V°: (ler mars 1807 - A M. de Champagny)

"Les mettre à la porte, c'est en faire des scélérats, ou au moins leur en donner les moyens, et cette espèce d'enfants n'est pas punie par la seule exclusion de l'Ecole. Peut-être beaucoup d'eux, vicieux et sans prévoyance, aspirent-ils après cette exclusion qui est pour eux une espèce de liberté."

Feuillet 64 v°: (11 mars 1807 à M. le Ministre de l'Intérieur)

"Mais ici je dois avoir l'honneur de vous rappeler ce que je vous ai mandé dans une de mes dernières lettres : l'exclusion de ces enfants prononcée, si on attend pour l'effectuer que les parents les envoient chercher, la plupart d'entr'eux ne sortiront pas de la maison. y seront d'un exemple détestable et d'une dangereuse contagion. Si on les renvoie, c'est à dire si on les chasse de la maison pour les laisser aller où ils voudront, on les condamne à devenir des scélérats, ils en ont la disposition, et ils n'auront guère d'autre ressource. Je pense donc qu'il serait utile que ceux que les parents ne viendraient pas chercher dans un temps donné fussent mis dans une maison de correction ou de ce département si il y a lieu, ou ailleurs pendant un an ou deux, ou jusqu'à ce qu'ils en soient mis à la disposition du ministre de la marine pour être mousse, ou à celle du ministre de la guerre pour être mis dans les pion- niers."

Pour limiter les erreurs d'orientation et les renvois de scolarité, le Duc n'hésite pas à sélectionner très sévèrement les candidats artistes. Sa réserve concernant l'admission des externes de Châlons dans l'établissement est d'ailleurs sans équivoque possible :

Feuillet 7 v°: (24 octobre 1806 - A son Excellence le Ministre de l'Intérieur)

"1° Les externes admis aux instructions de l'Ecole sont généralement des enfants de famille aisée, les soins des professeurs, des chefs d'ateliers se dirigent particulièrement sur eux, parce que les parents complimentent, flattent, gratifient les professeurs et les chefs d'ateliers; d'où il résulte que les élèves du gouvernement ont besoin de cette meilleure part du temps et de l'ouïr des maîtres.
2° L'usage des outils aux ateliers ne laisse pas que d'occasionner une dépense supplémentaire à l'établissement absolument inutile au bien de la chose.
3° Ces externes apportent dans les classes et dans les ateliers un autre esprit que celui de la maison ; ce sont des petits messieurs mieux mis que les élèves, ayant un ton de suffisance et de supériorité. La complaisance les a admis, la complaisance les conserve. Le proviseur, le directeur des travaux ne veulent pas faire crier après ceux des familles plus ou moins consi- dérables de la ville.
4° Ces externes sont des commissionnaires des élèves pour toute amplette et introduction d'objets défendus, pour les correspondances, même avec les filles du lieu, et la plus grande surveillance des supérieurs ne pourrait prévenir ni empêcher ce mal quand la cause en existe."

Afin de dissuader définitivement les élèves restants de toute tentative d'insubordination, le Duc ira jusqu'à demander la complicité du ministre pour les intimider.

Feuillet 193: (17 novembre 1807 à M. le Ministre de l'Intérieur)

Quoique les élèves soient assez promptement rentrés dans le devoir, vous penserez sans doute qu'il est important de ne pas laisser établir dans ces jeunes têtes l'idée de la possibilité d'une récidive, et que tout germe d'insubordination doit être fortement réprimé dès sa naissance. D'un autre côté les élèves Gaillard aisné, et Lhermite sont de bons sujets que je ne voudrais pas vous proposer de sacrifier. Je prendrai donc la liberté de vous proposer, Monsieur, de me faire l'honneur de m'écrire une lettre ostensible dans laquelle vous me manderez que, sur le compte que je vous ai rendu de la pièce d'insubordination qui s'était manifestée le dimanche à l'Ecole de Châlons, et sur la connaissance que je vous ai donnée que les élèves Gaillard aisné et Lhermite en avaient été les fauteurs et s'étaient montrés les plus mutins, vous m'autorisez à ordonner en votre nom au proviseur de les renvoyer de l'Ecole; si les comptes que je vous ferai rendre de toute leur conduite antécédente ne sollicitaient pas indulgence, par la faute grave qu'ils viennent de commettre, et que dans le cas j'ai à vous instruire des rensei- gnements certains que je me serais procuré pour vous être définitivement statué. Je me per- suade que la publicité de cette lettre fera l'effet désirable sans faire de mal à personne, ce que j'aime toujours à éviter, surtout pour des jeunes gens dont l'âge porte toujours à excuses puisque n'est pas vice de coeur.

 

 

 
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