BERLIAT Joseph - Aix 1897

Bormes-les-Mimosas : ce nom, à lui seul, est évocateur. Situé à 42 km à l'est de Toulon, sur la côte varoise, ce village typiquement provençal accroché au flanc de la colline que dominent les ruines du château était, dans les années trente, complètement ignoré du tourisme. On comprend que Joseph Berliat, parcourant la côte avec son épouse à la recherche d'un point de chute, ait été enthousiasmé par ce site exceptionnel et ait décidé de s'y installer.


Un "bourru tendre" d'une grande délicatesse

Cet ingénieur Arts et Métiers est né en janvier 1881. Sa famille est originaire de Curtin (Isère) où son père, meunier, lui donne tout jeune le goût de la mécanique. Il se souviendra toujours du vieux moulin de son enfance, qu'il rendra plus tard moderne et silencieux.

En bon Dauphinois, il va à l'École nationale de Voiron pour y préparer les Arts et Métiers. Il sera reçu à Aix en 1897. Comme beaucoup de ses camarades, à cette époque, II entre comme compagnon à la Compagnie de Fives-Lille. Il sera ensuite mécanicien à la maison Moisant de Paris, puis traceur et chef d'équipe dans les ateliers de charpente métallique de cette société. Après dix années d'apprentissage, il revient en Dauphiné et entre aux établissements Régis Joya à Grenoble en tant que chef des études. Il s'occupe particulièrement des ponts et charpentes métalliques, ainsi que des travaux de barrages et de caissons métalliques à air comprimé pour les fondations.

Charpentes et levage

Malgré l'importance prise par la maison Joya, réputée pour sa chaudronnerie, et qui compte alors plus de 500 ouvriers, il décide en 1912 de fonder son propre bureau d'études et d'entreprise générale. Mais vient la guerre; en 1914, il est engagé volontaire aux chasseurs alpins. Rappelé, il crée alors les ateliers Joseph Berliat, rue Ampère, toujours à Grenoble. C'est un modeste atelier installé dans de vieux moulins à ciment, qu'il va développer sans trêve ni repos pendant un quart de siècle. À la construction des charpentes métalliques, qu'il connaît bien, il va ajouter les travaux de chaudronnerie, de serrurerie et surtout d'appareils de levage et de manutention, grues, portiques et ponts roulants, qui deviendront sa spécialité et constitueront ses meilleures références, avec les portiques de 120 tonnes des ports d'Oran et de Casablanca. Il réalisera le beau portail d'entrée de l'exposition de la Houille blanche à Grenoble en 1925 et un grand pylône pour la TSF, qui lui vaudront une médaille d'or. Son implantation régionale lui permettra d'équiper en ponts-roulants les centrales hydroélectriques des Alpes et même des Pyrénées.

Fidèle à ses origines, son entreprise est une maison de gadzarts, avec Louis Fautrière, qui sera directeur, et Alexandre Guion, secondés par des plus jeunes, Charles Dalmière, Paul Groslambert et, comme stagiaire, son neveu Gustave Landragin, Ses contemporains le décrivent comme un "bourru tendre", rude et timide, mais d'une grande délicatesse. Il a une vive aversion pour la publicité tapageuse et les honneurs officiels. Sa seule ambition est de faire marcher sa maison, de procurer du travail à ses employés et ouvriers et, plus discrètement, de faire le bien autour de lui. Le technicien se double d'un artiste; il peint très joliment, et a été l'élève occasionnel d'un grand peintre rencontré lors d'un séjour dans l'Esterel. Quand il découvre le terrain de ses rêves, dans une boucle de la route qui monte vers Bormes, avec vue merveilleuse sur les Îles d'Or, il se transforme en architecte pour édifier son mas, souvent de ses propres mains, avec le concours d'artisans locaux. Il fait également l'acquisition d'un terrain à La Favière, dont la petite plage jouxte celle du Lavandou, alors simple village de pêcheurs. Et sur ce terrain, ou il vient volontiers passer la nuit, il édifie des "cabanons" dont ses collaborateurs et employés peuvent profiter à tour de rôle.
En ce temps-là, la Société des anciens élèves des Arts et Métiers et son "entraide" se préoccupent des plus âges, car les lois sociales, les retraites, la "Sécu" n'ont pas leur forme actuelle, et la caisse de secours est très sollicitée pour des anciens aux maigres ressources. L'idée germe depuis longtemps de créer une "maison de retraite des gadzarts". Animée par le camarade Joannès Tête, une commission est chargée d'étudier et de lancer une souscription pour la réalisation de ce projet, avec le concours des Groupes régionaux et des délégués de promotion, en France et en Algérie. Grâce à la générosité des souscripteurs, cette maison prendra forme et sera inaugurée le 4 mai 1940, par le président des ingénieurs Arts et Métiers Charles Koehier, à La Varenne-Saint-Maur.

Dans ce contexte, Joseph Berliat, qui n'a pas de descendant direct, exprime dès 1935 son intention de faire don à la Société de sa propriété de Bormes. En mars 1939, la Revue publie pour la première fois une photo de cette future maison de retraite destinée à compléter celle de Saint-Maur. Hélas, Berliat décède prématurément, à 58 ans, le 23 novembre 1939, alors que la guerre est commencée.

Bien que destinée à ses collaborateurs, son entreprise est reprise en 1940 par la Société alsacienne d'études et d'exploitation, sous le nouveau sigle de Soretex. Cette entité rejoint par la suite la firme Coupé-Hugot qui, installée à l'origine à Saint-Ouen, se transportera à Cosne-sur-Loire, en association avec Schwartz-Hautmont (CHSL). L'ensemble, toujours dédié aux gros appareils de levage, devient Coupé-Hugot-Soretex-Levage.

Les ateliers de la rue Ampère à Grenoble sont fermés. La Société Coupé-Hugot est par la suite mise en liquidation judiciaire, et ainsi disparaît définitivement l'entreprise Berliat.

Dès août 1942, Mme Berliat confirme son respect des intentions de son époux (...). Le 28 août 1945, la donation est signée par-devant notaire, enregistrée et acceptée avec toutes les autorisations légales par le président Jean Fieux, au nom de la Société AM, en septembre 1946, avec une très vive gratitude. D'autant plus que, pour le premier anniversaire du décès de son mari, Mme Berliat a fait un don de 110 000 F pour les œuvres de secours de guerre de la Société.
Comme rien n'est jamais simple, l'association des gadzarts ne peut prendre possession de ce bien, occupé sans titre par un médecin qui y restera quatorze ans, malgré les pressions puis les interminables procédures d'expulsion. Ce n'est qu'en février 1960 que les choses rentrent dans l'ordre.

Utile au plus grand nombre

Pendant ce temps, la maison de Saint-Maur a été fermée. La réglementation sociale a complètement évolué et la nécessité d'une maison de retraite, qui ne peut satisfaire que quelques-uns, a fait place dans les esprits à une formule pouvant être utile à un plus grand nombre, celle d'une maison de repos. Les délibérations du Comité vont dans ce sens, et Mme Berliat elle-même autorise ce changement d'affectation en 1958. Le "mas Berliat" des gadzarts est né. Il ne reste plus... qu'à faire quelques travaux d'aménagement ! D'abord dans la maison d'origine, puis par une première extension, ouvrant ainsi douze studios. En 1975, est érigé un bâtiment neuf comprenant huit appartements de deux pièces. Mme Berliat, qui a continué à habiter Bormes sous le château, décède le 17 octobre 1960.

Si l'entreprise de Joseph Berliat n'a pas survécu à son fondateur, sa belle propriété dans laquelle il s'était tellement impliqué perpétue sa mémoire. Les résidents successifs et tous les ingénieurs AM lui rendent hommage, ainsi qu'à son épouse, pour leur générosité qui a doté la communauté Arts et Métiers de ce "mas" unanimement apprécié.

Extrait de l'article de Jean Vuillemin (Pa 40) parut dans Arts et Métiers Magazine - Mars 2001.

 
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