Léon Chagnaud (Ch. 1881)

Transformer une PME de maçonnerie en un "grand" du BTP intervenant partout en France:
l'oeuvre de Léon Chagnaud aura marqué son temps.


C'est dans la Creuse, à Chanteloube, que Léon Chagnaud naît le 12 mars 1866. Son père, Hippolyte Chagnaud, vient d'installer son entreprise de maçonnerie à Guéret. Rapidement, la société oriente ses activités vers les travaux publics et participe à des chantiers importants à partir de 1870. Quant au jeune Léon, il quitte sa Creuse natale en 1881 pour les Arts et Métiers de Châlons-sur-Marne. Il s'y astreint à quatorze heures d'un labeur quotidien, avec la forte volonté de réussir. Ses études achevées, il retrouve l'entreprise paternelle.

Mais en 1891, Hippolyte Chagnaud décède brutalement d'une crise cardiaque. Sa forte personnalité et son goût du risque, couplés à sa quête perpétuelle d'innovations techniques, poussent Léon Chagnaud à devenir entrepreneur à 25 ans. Il crée son établissement tout en reprenant l'activité paternelle. Il intervient bientôt sur des chantiers plus importants et éloignés de la Creuse, dans l'Est de la France: fortification de la ville de Toul (de 1889 à 1891), voies ferrées entre Vitry et Blesmes. Il collabore à des travaux en région parisienne avec l'entreprise Fougerolle (de nos jours intégrée à Eiffage construction).

Avec la réalisation du collecteur de Clichy, ces chantiers participent au vaste plan d'assainissement de Paris lancé par Haussmann. Audacieux, Chagnaud utilise le bouclier métallique, un procédé inventé en 1818 et qu'il a nettement amélioré.

Il s'agit "d'une carapace métallique à l'abri de laquelle s'exécutent les fouilles et le revêtement de la galerie souterraine et qui se déplace progressivement à l'aide de vérins (...), en maintenant les terres et en offrant une protection efficace aux ouvriers". Le gadzarts en améliore l'étanchéité et la résistance, tout en augmentant les vitesses de percement. Ce chantier lui apporte une véritable reconnaissance et marque le début d'une nouvelle ère dans les travaux souterrains.

De 1897 à 1899, Léon Chagnaud travaille pour la Compagnie du chemin de fer d'Orléans en construisant la gare d'Orsay et en réalisant les tronçons souterrains qui relient cette dernière à la gare d'Austerlitz. À 33 ans, le voilà élu administrateur du syndicat professionnel des entrepreneurs de travaux publics. Entouré d'ingénieurs talentueux, pour la plupart issus des Écoles d'Arts et Métiers, il va relever les défis du métropolitain parisien, dont la mise en service des premières lignes doit coïncider avec l'ouverture de l'Exposition universelle de 1900. Léon Chagnaud intervient pour construire la ligne n°3, et notamment la station Opéra où, dans un sol imbibé d'eau, il doit gérer la superposition de trois lignes ! Il relève le défi en utilisant de l'air comprimé et en injectant du ciment dans le sous-sol: les délais prévus par le cahier des charges seront respectés.

Procédure exceptionnelle, un concours est lancé en 1904 pour la traversée du sous-sol de la Seine entre la place Saint-Michel et celle du Châtelet. L'ouvrage étant considéré comme le plus complexe du réseau, les plus grands spécialistes français sont sollicités. Impressionnant les membres du jury par ses méthodes et ses techniques, le gadzarts remporte brillamment le marché (voir encadré). Bien que très coûteux, l'ouvrage apparaît comme une grande réussite technique et marque la profession. Il apporte aussi la preuve de l'habileté de l'ingénieur qui dialogue beaucoup avec ses ouvriers, mais n'en est pas un moins un patron autoritaire aux colères redoutées - à faire face aux imprévus. DES CAISSONS SOUS LA SEINE

Pour faire passer le métro sous la Seine, Chagnaud utilise plusieurs caissons traversant le fleuve. Doté d'une armature métallique recouverte de tôles, chacun est fermé à ses extrémités, puis immergé par l'injection de béton entre ses cloisons. Dès qu'il est posé sur le lit du fleuve, les ouvriers prennent place dans une chambre de travail aménagée dans la partie basse du caisson et alimentée à l'air comprimé. Le creusement du lit, combiné avec l'injection de béton dans les caissons, enfonce l'ensemble dans le sous-sol. Pour assurer la jonction entre les caissons et les souterrains bordant la Seine, Léon Chagnaud adapte le procédé de congélation utilisé dans le percement de puits de mines.

En 1906, l'entreprise Chagnaud participe au percement du tunnel du Loetschberg (14 605 m), pour désenclaver le canton suisse de Berne. Mais en février 1908, une avalanche détruit l'hôtel où séjournent des employés de l'entreprise et tue onze personnes. Quelques mois plus tard, une masse d'alluvions envahit brutalement le tunnel et cause la mort de 25 ouvriers. Endeuillé, le chantier sera arrêté 238 jours. Déjà préoccupé par les questions sociales, Léon Chagnaud met en oeuvre de nouvelles méthodes de creusement améliorant la sécurité de ses ouvriers. En mars 1911, les galeries française et suisse se rejoignent avec une précision millimétrique. Ce chantier n'est pas encore achevé que Chagnaud est sollicité pour creuser le canal souterrain de Rove, destiné au transport maritime, qui reliera le port de Marseille à l'étang de Berre: une longueur de 7 266 m pour une largeur inédite de 22 m. Les travaux débutent en 1911. Par manque de main d'oeuvre durant le conflit de 14-18, Chagnaud développe l'utilisation d'engins mécaniques, d'autant que le volume de déblais extrait est estimé à 2,5 millions de m3. Le tunnel est inauguré en 1916, à l'achèvement du percement, puis une seconde fois après sa mise en eau, en 1927, en présence du président de la République Gaston Doumergue.
Homme d'influence

Au lendemain de la Grande Guerre, durant laquelle Léon Chagnaud a oeuvré activement au sein d'un syndicat des entrepreneurs de travaux publics complètement désorganisé, le gadzarts réoriente son entreprise vers l'aménagement hydroélectrique avec la construction du barrage d'Éguzon, dans la Creuse (voir AMM de septembre 2001, p. 19). De 61 m de haut et 225 m de long, il reste le plus grand barrage français jusqu'en 1934. Achevé et mis en eau en 1926, il produit de l'électricité non seulement pour la région mais aussi pour... Paris.
Homme d'influence, Léon Chagnaud siège dans une quinzaine de conseils d'administration de sociétés (assurance, banque, électricité, mécanique, travaux publics...). Attentif aux bonnes relations entre dirigeants et salariés, il encourage le développement de l'intéressement déjà mis en place dans son propre établissement. Il préside le syndicat de la profession et fonde une école de travaux publics pour réinsérer les blessés et mutilés de guerre et pallier le manque de main d'oeuvre après le conflit. Élu sénateur de la Creuse en 1921, puis président du conseil général en 1926, il s'efforce de moderniser et de désenclaver ce département auquel il reste très attaché. Il s'investit dans diverses commissions liées aux chemins de fer, aux transports ou encore à l'enseignement technique. Toutefois, battu aux élections de 1929, il met un terme à ses activités politiques, non sans amertume. Le parcours de cet officier de la Légion d'honneur aura néanmoins été ponctué de nombreux honneurs, dont le Grand prix de l'Exposition universelle de Paris en 1900. Léon Chagnaud décède le 31 juillet 1930 dans son château de Lasvy (Creuse), alors que son beau-frère Philippe Fougerolle, dirigeant la société du même nom, vient de disparaître un mois auparavant. Conformément à sa volonté, une partie de sa fortune est léguée au département de la Creuse et au canton de Bonnat. Bien qu'ayant repris la société dans un contexte économique de forte dépression, son fils Charles a réussi à poursuivre l'oeuvre paternelle. Actuellement, Chagnaud Constructions participe à la réalisation de la deuxième ligne du métro toulousain, dont l'ouverture est prévue en 2007.


Frédéric Champlon (Ch. 94)

 
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