Jean Fieux - Cl. 1902

Jean Fieux est né le 28 mars 1886 à Dompierre-sur-Mont (Jura), fils de Victor Eléonor Fieux, cultivateur et de Caroline Eléna Monnier, son épouse. Il est le troisième dans une fratrie de quatre, après une sœur, et un frère aîné qui reprendra la ferme familiale. Sa maison natale, à Dompierre est occupée aujourd'hui par un de ses arrière-petit-neveu.

Sa fille,Yvonne Caron, rapporte la tradition familiale par laquelle, dès son plus jeune âge il était un esprit inventif et observateur : ayant fabriqué un petit manège, il remarque que celui-ci tourne quand on le place dans la cheminée. Il dira d'ailleurs beaucoup plus tard : " Tout ce qui tourne m'intéresse ".
Reçu premier au certificat d'études, son instituteur veut l'orienter vers l'Ecole Normale mais il opte pour l'ENP d'Oyonnax, prépare le concours des Arts et Métiers et entre à Cluny dont il sort dans les tout premiers.
Il est embauché en 1906 comme dessinateur chez Schneider, aux Ateliers d'artillerie du Havre. Mobilisé comme officier d'artillerie, en 1916, il est rappelé du front et affecté à cette même usine pour fabriquer des moteurs d'avion. Ces débuts peuvent paraître très modestes mais il s'est déjà fait remarquer par sa puissance de travail et son esprit inventif. En 1921 il est appelé au siège de Schneider à Paris, entreprise où il restera jusqu'en 1960.

Il épouse en 1906 Marie Michel-Schmidt, fille de Maurice Michel-Schmidt, directeur de l'usine Schneider de Chalons sur Saône, constructeur de la grande forme de radoub du Havre destinée à accueillir le Normandie ainsi que le pont Alexandre III à Paris. Deux enfants naîtront, une fille en 1917 et un garçon en 1921.
L'Académie Bourdon, au Creusot, conserve une masse très importante de dossiers : documents, plans, notes de calcul, résultats d'essais, brevets, qui rendent compte de l'activité créatrice de Jean Fieux, celui que l'on a appelé l'homme aux 400 brevets, entre 1920 et 1960.
On ne peut évidemment parler longuement, dans cette courte biographie, de tout ce qu'il a créé. On ne peut que donner quelques exemples de ses travaux .
En particulier, on peut s'attarder un instant sur la gyroscopie.
C'est en août 1910, il a 24 ans, qu'il élabore sa " théorie élémentaire de l'effet gyroscopique ", c'est-à-dire du mouvement de la toupie. Les spécialistes savent que les forces engendrées par l'effet gyroscopique peuvent être considérables. Très succinctement, elles sont engendrées par ce qu'ils appellent la Précession, c'est-à-dire la force réactive qui s'exerce sur un corps de révolution en rotation rapide, quand on essaie de lui appliquer une force latérale extérieure qui perturbe ce mouvement. La difficulté réside dans la captation et l'utilisation de cette propriété et de son application à la correction de phénomènes dont on veut minimiser l'effet ou le supprimer, c'est- à- dire à transmettre cette force à des appareils autres que le gyroscope lui-même. On le fait au moyen d'une liaison plus ou moins rigide.

Ses inventions gyroscopiques

- Appareils anti-roulis pour la marine (1925 -1928)
- Equilibrage des gyroscopes, (1928-1929)
- Transmission gyroscopique à embrayage contrôlé, (1914-1928)
- Conduites de tir gyroscopiques pour avions (1946-1950)
- Horizons artificiels -Télépointeur stabilisé pour l'artillerie de marine (1921-1938)
- Cannelures d'ogives pour stabiliser les obus (1917)
- Stabilisateur de caméra de télévision

Un exemple intéressant est celui du stabilisateur de roulis monté sur des navires . Les premiers essais de stabilisateurs de navires appelés gyrostats, soumis au roulis, ont été le fait de deux inventeurs, Schlick, autour de 1910, puis Sperry, au début des années 1920, mais les premiers furent décevants en eau agitée, et les seconds, plus efficaces, étaient très lourds (autour de 3% du déplacement du navire). Le gyrostat Schneider-Fieux, objet de nombreux brevets, présenté en 1927 et objet d'une communication à l'Association Technique et Maritime de juin 1928, est d'une efficacité remarquable par l'amortissement très rapide du mouvement de roulis, constatée par les diagrammes d'enregistrement . Son poids est inférieur à 1.5% du déplacement, moitié de celui du Sperry.. Disons que le principe était de jumeler deux gyros à rotations et précessions contraires. De nombreuses autres inventions sont du domaine de la gyroscopie.
Si la gyroscopie l'a longtemps intéressé, il a exploré bien d'autres domaines de la mécanique, par exemple les catapultes-freins pour avions embarqués légers et lourds (1953-1955) ou les freins d'appontage dans les années (1926-1948). Le principe de ces derniers est toujours utilisé : cables placés en travers de la piste, enroulés sur deux tambours freinés.
Enfin on ne peut oublier les études théoriques qui portent son nom ni son appareil d'expériences pour l'enseignement du gyroscope dans les écoles d'ingénieurs et les facultés.

Des études théoriques

- Détermination des pouvoirs lubrifiants des huiles (1926)
- La mécanique descriptive (1926)
- Pouvoir lubrifiant des huiles (1920-1926)
- Réaction au déplacement oblique de l'axe d'un gyroscope (précession)
- Loi du frottement des disques ans l'eau ; Frein pour torpilles (1938)
- Calculs sur le mouvement de la Terre (énorme toupie) (1943)

Cette intense activité scientifique et technique ne doit pas occulter ses autres engagements, tous concourant à rapprocher les hommes dans leurs activités.
Il était profondément attaché à une ouverture de l'enseignement technique. Cette filière était en effet indépendante de l'enseignement général, ce qui avait l'avantage de faciliter la sélection des meilleurs sans les voir systématiquement absorbés par l'enseignement général, mais avait l'inconvénient de les confiner dans une sorte de ghetto. Il a beaucoup œuvré pour réformer l'enseignement technique. C'est dans ce courant que, devenu Président de la Société des Anciens Elèves des Arts et Métiers entre 1946 et 1948, il s'est consacré à la mise en place de la quatrième année. On imagine les réticences de nombre de camarades qui voyaient dans cette évolution une perte d'identité et un affaiblissement de l'efficacité de la formation. On retrouve là la même difficulté que celle rencontrée un demi-siècle plus tôt, l'opposition des " conservateurs " et des " libéraux " (Voir Denis Poulot, AMM mars 2003). Il a d'ailleurs rédigé une plaquette intitulée : " Les raisons de la quatrième année commune " qui, après une analyse fine des évolutions scientifiques, techniques et sociales, présente le projet de ce changement de façon très convaincante.

Il faut mentionner qu'en corollaire de la création d'une quatrième année à Paris, il a apporté toute son autorité à rassembler la Société autour du projet de maison des Arts et Métiers à la Cité universitaire, permettant ainsi, par les dons reçus, d'en lancer le financement.
Il était Président de la Société des Ingénieurs Civils en 1944 et dans cette période troublée, sa personnalité irréprochable a permis d'en atténuer les remous.
Il assura aussi la présidence de la FASFID et facilita la création du Conseil national des Ingénieurs français.
Après le grade de Chevalier en 1924, il a été fait Officier de la Légion d'honneur pour son travail d'inventeur et a reçu la cravate de Commandeur pour son engagement dans la réforme de l'enseignement technique.
Il avait reçu en 1933 le prix de la Marine, décerné par l'Académie des Sciences.
Enfin mentionnons la fondation à St Remy (71100), avec son fils, de la " Cité d'entraide sociale ", connue sous le nom de " Cité Jean Fieux " dont la famille est toujours actionnaire.



La transmission gyroscopique Fieux, d'une grande souplesse, était applicable à la traction ferroviaire.

Ce bilan extraordinaire laisse supposer un esprit toujours préoccupé par les problèmes qui lui étaient posés et par ceux que repérait son inlassable curiosité.
Comment était-il perçu dans sa famille et à l'extérieur ? Homme intègre, fidèle à ses engagements, bourreau de travail, exigeant même pour les études de ses enfants, ne tirant pas la " couverture à lui ", certainement avec beaucoup de respect et d'admiration. Il a probablement laissé quelques regrets dans son entourage pour sa disponibilité réduite et une chaude présence qui aurait été appréciée. Il avait des amis, surtout parmi les Gadzarts mais les voyait peu, pris dans le tourbillon de ses projets.
Dernière touche de ce portrait rapide, il était très amateur d'opéra. Mobilisé en 1914, officier, il partageait avec un de ses compagnons, choriste à l'Opéra, cette passion et, au repos, ils chantaient, sa voix étant qualifiée de " ténor quart de tour " ? C'est ainsi que, rapporté par sa fille, il marchait de long en large quand il réfléchissait et parfois chantait des airs d'opéra.
Il est décédé le 6 avril 1969, et la veille, il travaillait encore à un mémoire sur les anomalies de la rotation de la terre, œuvre inachevée. Il est inhumé à St Remy (71100)

Edmond De Andréas - Aix 45

 
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