Léon
Lemartin (Ai. 1899)
Pionnier de l'aviation, Théodore Le Martin, dit Léon
Lemartin, a côtoyé les plus grands de cette épopée.
D'abord ingénieur mécanicien très recherché,
il fut aussi l'un des premiers pilotes d'essais.
Dès sa naissance, le 20 octobre
1883 à Dunes (Tarn-et-Garonne), Théodore,
Clovis, Edmond Le Martin reçoit le prénom
d'usage de Léon : ses prénoms officiels sont
aussi ceux de ses grands-pères et de son père.
Ce dernier, maréchal-ferrant, compagnon du Tour de
France, est l'inventeur de plusieurs fours de maréchal,
dont certains brevetés ; il croit au progrès,
aux sciences appliquées, à la révolution
technologique. Une fois son fils pourvu de son certificat
d'études, il le fait entrer à l'École
pratique d'Agen. Élève doué, plutôt
précoce, "Léon" fait preuve de sérieux
et de volonté; à tel point que ses maîtres
l'incitent à poursuivre ses études. Et c'est
à moins de 16 ans, en octobre 1899, qu'il quitte
son pays du Brulhois natal pour Aix-en-Provence, où
il est admis aux Arts et Métiers.
Il a passé de nombreuses heures dans la forge paternelle
et souvent aidé son père, d'où une
habileté manuelle hors du commun. Mais, exilé,
il s'ennuie des siens, d'autant que les affaires périclitent
à Dunes. Dès qu'il a son diplôme en
poche, en juillet 1902, il part pour la Capitale afin de
trouver au plus vite un emploi pour aider sa famille. Ayant
besoin d'un acte de naissance pour des démarches
administratives, il découvre une coquille sur son
état civil: "Le Martin" est écrit
"Lemartin" !
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Pour éviter des complications,
il adoptera cette nouvelle orthographe. En décembre 1902,
il fait la connaissance de Louise Soriano : divorcée d'un
passionné d'aviation, le comte Charles de Lambert, elle
s'est remariée avec un Sud-Américain fortuné,
Ricardo Soriano. Elle présentera Léon à ces
deux hommes, mais aussi à Santos-Dumont, qui initiera le
gadzarts à l'aérostation. Avec Ricardo Soriano,
qui financera le projet, Lemartin tente une incursion dans le
domaine des aérostats. Mais suite à un incendie
lors des essais de gonflage, son expérience se révèle
malheureuse. Léon abandonne les aérostats pour se
tourner définitivement vers les appareils plus lourds que
l'air : les avions. Il va rapidement devenir un ingénieur-mécanicien
recherché. Il côtoiera les plus grands constructeurs
du moment. En décembre 1907, Louise meurt. Elle sera enterrée
à Dunes. Léon adopte sa fille Jane de Lambert, née
du premier mariage de Louise.
À cette époque, Léon
travaille sur la structure (ailes, carlingue). Il participe au
montage des biplans des frères Voisin, sans trop y croire
toutefois : il partage l'avis de Blériot, promoteur du
monoplan. À l'évidence, la pièce maîtresse
d'un avion reste le moteur. Aussi Léon quittet-il les frères
Voisin pour l'entreprise des frères Louis et Laurent Seguin,
pères du Gnome Oméga, un moteur rotatif révolutionnaire
pensé et développé pour les aéroplanes.
Le gadzarts va devenir un "metteur au point" hors pair
pour ce moteur, et très courtisé. Chez les frères
Seguin, il bénéficie d'un statut spécial
: il est officiellement détaché auprès des
aviateurs qui utilisent le Gnome, et peut exercer des missions
pour son propre compte. Les exploits se multiplient, signés
Henry Farman (premier kilomètre en circuit fermé
en janvier 1909), Léon Delagrange (premier passager, en
mars), Louis Blériot... Autant d'utilisateurs de moteurs
Gnome réglés par Lemartin.
Durant ces années exaltantes, où l'enthousiasmedes
spectateurs décuple, Léon Lemartin participe directement
à l'avancée soudaine de l'aviation. Il suit plus
particulièrement Blériot qui, en 1909, a besoin
d'un exploit pour se renflouer : le "Daily Mail" promet
25 000 F au premier pilote qui réussira la traversée
de la Manche. Léon est appelé pour mettre au point
le nouveau moteur du "Blériot XI", équipé
d'une hélice Lucien Chauvière (An. 1891), un Anzani
de 25 ch ; mais, après des mois de travail acharné,
le "patron" Blériot renonce. Le comte de Lambert
fait de son côté ses préparatifs sur le biplan
Wright, ainsi qu'Hubert Latham sur le monoplan "Antoinette
IV" de Léon Levavasseur... Le 20 juillet, Blériot
change d'avis et bat le rappel de ses troupes. Le lendemain, l'avion
démonté à Paris est acheminé vers
Calais en chemin de fer. Lemartin rejoint l'équipe. L'appareil
est monté en deux jours, il ne reste plus qu'à attendre
une météo favorable. Le 25 au petit matin, on sort
le monoplan, on fait chauffer le moteur avant un petit vol d'essai
d'une dizaine de minutes. Puis c'est l'envol pour l'Angleterre:
38 km en 32 min. Et le triomphe de Louis Blériot.
À peine un mois plus tard,
du 22 au 29 août, Blériot, Curtiss, Delagrange,
Farman, de Lambert, Latham, Paulhan, Santos-Dumont, les frères
Wright et dix-huit autres pilotes se retrouvent à la
Semaine de Reims-Bétheny, un meeting aérien.
Lemartin vient d'inventer un système qui accroît
sensiblement le rendement dans les pointes de vitesse. Sur
les cinq épreuves inscrites au programme, quatre sont
remportées par deux avions à moteurs Gnome :
sont battus le record de vitesse par Louis Blériot
sur le "Blériot XII" (77 km/h) et le record
de distance (180 km), de durée (3 h 15) et de passagers
(2) par Henry Farman sur Voisin. |
LE PREMIER CONTRAT DE
PILOTE D'ESSAIS "
[...] À dater de ce jour, Monsieur Théodore Lemartin sera
affecté aux écoles de pilotes de la Maison Blériot [...].
Il sera spécialement occupé au réglage des appareils et à
leurs essais de réception [...]. Après avoir obtenu ses brevets,
il touchera 400 F par mois, plus 30 F pour chaque appareil
dont il aura fait l'essai officiel [...]. En cas de mort par
accident, une somme de 32 500 F sera versée à sa veuve ou
ses ayants droit par Monsieur Blériot. Fait à Paris le 20
août 1910." |
Après avoir décliné
une offre de Farman (car il apprécie la relative liberté
dont il bénéficie chez les frères Seguin),
Léon Lemartin franchit un grand pas l'année suivante.
Il rêve de voler, lui aussi, et signe le premier contrat
connu de pilote d'essais (voir encadré). 45 jours après
avoir passé les trois épreuves du brevet, il reçoit
sa carte de l'Aéro-club de France, qui le nomme pilote-aviateur
sous le numéro 249. Le nouveau fou volant enchaîne
alors les records du monde du nombre de passagers (6, puis 8,
11 et 13) et de vitesse (128,418 km/h en 1911).
Il se doit de participer aux courses pour
promouvoir les avions Blériot. Les prix sont partagés
à raison de 2/3 pour Blériot et 1/3 pour Lemartin.
Le 18 juin 1911, à Vincennes, il prend le départ
du Circuit européen. Avec 1 600 km à parcourir en
8 étapes, cette épreuve, la plus dure jamais proposée
(65 engagés, 41 au départ, 9 à l'arrivée),
est dotée de 450 000 F de prix. Le gadzarts a travaillé
toute la nuit sur les monoplans Blériot de ses équipiers,
dont André Beaumont - qui gagnera le circuit - et Roland
Garros. Ce dernier juge qu'il y a trop de vent et refuse de partir,
au risque d'être mis hors course. Devant plus d'un million
de spectateurs enthousiastes, Léon Lemartin s'envole. L'avion,
pris dans une bourrasque, pique du nez. Pour éviter la
foule, le pilote s'écrase aux commandes. Il décède
peu après son arrivée à l'hôpital.
Léon Lemartin repose dans son village natal. Il laisse,
outre Jane, trois filles et sa veuve Madeleine, qui se remariera
avec son frère Albert, un fabricant de cycles à
Dunes.
Jean-Louis Eytier (BO. 68),
Avec l'aimable contribution de l'unique petit-fils de Lemartin,
Jacques Dalmon
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