René Baudry - Aix. 1916

René Baudry est né à Ormoy sur Aube (Hte Marne). Sa famille s'installe peu après à Gevrolles (Côte d'Or) où son père est régisseur du château. C'est une famille simple, laborieuse, économe, d'une grande probité. Lui était un enfant calme, sérieux, au regard doux, avec de grands yeux marron, observateurs. Il disait en en rajoutant, que son éducation avait été stricte et sévère. Il était très attaché à la Bourgogne dont il avait gardé l'accent rocailleux, savoureux lorsqu'il parlait anglais.
En 1914 il est envoyé en Allemagne pour apprendre la langue et il rentre en France à la déclaration de guerre, par la Suisse. Il prépare le concours et entre aux Arts et Métiers, à Aix, en 1916 et en il gardera toute sa vie un souvenir fantastique, (y compris celui des " Deux Garçons " - une brasserie-). Mobilisé en 1918, il participe à la deuxième bataille de la Marne (Juillet-Août 1918). Il fera partie de tous les élèves-combattants diplômés en 1921.
En 1923, il part pour les Etats-Unis où il travaille comme tourneur pendant cinq mois et apprend l'anglais. A la suite d'un contact avec un homonyme sans lien de parenté, Paul Baudry (An 1913), qu'il avait connu lors d'un bref passage à " l'Alsacienne de Constructions Electriques ", il entre en 1925 chez Westinghouse à East Pittsburgh en Pennsylvanie où il fera toute sa carrière.

D'abord dessinateur d'étude, puis ingénieur mécanicien, il est très vite remarqué et dès 1926, il suit les cours spéciaux de mécanique de S.P.Timoshenko, spécialiste mondial de la résistance des matériaux.
Pendant la grande crise de 1929, il fait partie des quelques ingénieurs que Westinghouse garde, alors que les places vides se multiplient dans les bureaux. Le " New Deal " de F.D.Roosevelt et en particulier le programme de la Tennessee Valley Authority et des grands projets dans l'Ouest tels que les barrages de Grand Coulee et de Hoover, relancent l'industrie de l'énergie électrique. Les puissances des générateurs passent en 10 ans (1930-1940) de 30 à 200 MW, avec une très forte concurrence entre Westinghouse et General Electric, l'innovation technique ayant été de ce fait considérable.

René Baudry est un des acteurs reconnus de ces innovations. Il a en effet déposé 78 brevets entre 1930 et 1969, soit à titre personnel soit associé. La plupart de ces brevets concerne les générateurs entraînés par turbines et il s'est particulièrement intéressé à deux domaines essentiels : les pivots (thrust bearings) et le refroidissement des alternateurs.
Le terme français de pivot (Pivoted pads thrust) venant probablement de l'utilisation de parties en contact pivotantes, est celui qui est le plus employé en France mais on trouve aussi quelquefois celui de butée. Il s'agit du dispositif qui encaisse tous les efforts verticaux des générateurs à axe vertical, type turbines Kaplan (poids et poussées dynamiques). La rotation d'un disque tournant sur un disque fixe encaisse ces efforts verticaux. La partie fixe est composée de patins (6 ou 8 par exemple) légèrement pivotants et les frottements réduits grâce à un film d'huile auto créé, c'est-à-dire sans pression extérieure.
Les premiers essais de ce type de pivot dataient des années 1910-1912 et réalisés par Kingsbury et Michell. La quinzaine de brevets pris par R.Baudry ( voir encadré) concernent le dessin des patins, l'étanchéité des parties tournantes, la corrosion et s'appliquent à des groupes jusqu'à 200 MW dont le diamètre du pivot peut atteindre 10 pieds soit 3m. et la poussée verticale 1000 tonnes . Les vitesses de rotation étaient relativement réduites dans les premières réalisations mais ont augmenté rapidement pour atteindre 3600 t/mn. Il s'agit donc d'un élément essentiel du dessin de ces groupes turbo-alternateurs.

Quelques uns des brevets

- Dispositif de frettage de rotor (1931)
- Support de pivot (1932)
- Lubrification de palier(1937)
- Refroidissement à l'hydrogène (1940)
- Accouplement électrique (1941)
- Densimètre pour gaz (1949)
- Dispositif anti-corrosion pour pivot (1952)
- Double ventilation à l'hydrogène (1959)
- Patin de pivot indéformable à la chaleur et en charge (1969)

Le refroidissement des générateurs a été à la base d'une vingtaine de brevets,(voir encadré) dont six concernent une innovation intéressante, l'utilisation d'hydrogène soufflé dans les enroulements au travers de parties creuses aménagées, le tout en caisson . En 1954, deux alternateurs de 175 et 200MW, tournant à 3600 t/mn ont utilisé cette technique.
Enfin, pendant la guerre de 39/45, il a conduit des études pour la défense américaine dont il n'a jamais révélé la teneur mais qui lui ont valu en 1947 une manifestation de reconnaissance de l'armée.
On peut dire enfin qu'étant en retraite en France , il était appelé en consultation comme expert par son ancienne société.
Ingénieur mécanicien, il était membre de l'Américan Society of Mechanical Engineers (ASME) et Ingénieur électricien, membre de l'American Institute of Electrical Engineers ( AIEE) devenu depuis 1963 l'IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineers). Il avait été nommé en 1964 " Fellow " de l'ASME, distinction rare attribuée par un jury et réservée à des personnalités éminentes dans leur profession, justifiant de 25 années de remarquables contributions à leur métier et à la Société. Et en 1966 il reçut une autre distinction rare, la Médaille LAMME de l'IEEE.
Ses publications et conférences, seul ou associé, dont nous avons 18 exemplaires(voir encadré) soit dans le cadre de l'ASME, soit dans celui de l'AIEE ont jalonné toute sa vie professionnelle et elles étaient très appréciées. La rigueur dans le développement de ces innovations y était certainement pour beaucoup.

Il avait acquis la nationalité américaine peu avant la deuxième guerre mondiale.

Quelques exemples de publications Acceptées par l'AIEE :

- Pivots modernes pour turbo-générateurs (1947)
- Vibrations magnétiques dans les stators à courant alternatif (1954)
- Evolution du dessin des pivots (1959)
- Amélioration du refroidissement des gros alternateurs (1964)

Acceptées par l'ASME :

- performance des pivots au démarrage (1947)
- Quelques effets thermiques sur les pivots (1958)
- Performance des pivots à la centrale de Hoover (1959)
- Théorie de la détection ultrasonique des fissures (1963)

On ne peut parler de René Baudry sans évoquer Louise Bouquet qu'il avait épousée à Chicago en 1926. Elle était issue, elle aussi, d'un milieu simple, avait fréquenté l'école publique, celle de Jules Ferry et de sa morale faite de d'honnêteté, d'économie et…surtout de travail.
Immigrés, leurs débuts furent évidemment très difficiles mais très rapidement ils furent amenés à fréquenter les cercles francophones et francophiles des USA (Alliance française et University Club de Pittsburgh).

Pendant la guerre, Louise prit une part très active dans l'organisation des secours aux Français en organisant l'envoi de milliers de colis. Elle reçut à ce titre la médaille du Mérite Français. Elle a aussi organisé pendant 25 ans la " Table Française ", déjeuner mensuel où elle accueillait les Français " en exil " et de nombreux Américains francophiles. Les Gadzarts de passage ne pouvaient échapper à cette invitation.
En 1995, à Paris, Louise reçut les Palmes Académiques pour l'ensemble de ses actions au bénéfice de la France, du français et des Français.
Retirés à Paris en 1964 dans le XVIe arrondissement, ils se sont éteints centenaires, lui en 2000, elle en 2001. N'ayant pas d'enfants, c'est leur filleul, Jacques David, qui leur était très proche et qui les a accompagnés pendant une grande partie de leur vie et plus spécialement à la fin.
Ils sont inhumés à Vierzon (Cher)

Jacques David
Edmond De Andréa - Aix 45

 
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