Simon Boussiron - Aix 1888

La fin du XIXe siècle et le début du XXe ont été marqués, dans le domaine industriel, par un nombre important de sauts technologiques ayant un impact direct ou indirect sur notre vie de tous les jours, que ce soit dans l'automobile, l'aviation, la santé …ou le Génie civil. Dans ce dernier domaine, le béton armé a été un incontestable saut, apportant une solution aux défauts de la construction métallique (coût, entretien) malgré les progrès de celle-ci (par exemple par Henri Daydé-Ch 1863). Parmi les hommes qui ont cru en ce nouveau " matériau ", à côté, entre autres, des Coignet, Hennebique, Monier ou Freyssinet, Simon Boussiron a apporté sa contribution de belle manière, développant son entreprise alors que beaucoup d'autres pionniers disparaissaient.

Simon Boussiron est né le 11 avril 1873 à Perpignan dans une famille de " classe moyenne " comme on dirait aujourd'hui ; son Père était employé dans une petite banque et était devenu l'homme de confiance de la maison. Son enfance a été rude : orphelin de Mère à 2 ans, séparé de son frère aîné, Jean, pour être élevé par des cousins. Il retrouve son frère et son Père lors du remariage de celui-ci et aura un demi-frère, Louis, qui travaillera dans l'entreprise, et une demi-sœur, décédée jeune.
Il épouse en 1906 Hélène Bras, décédée en 2003, et ils auront une fille, Jeanne.

Après l'école primaire supérieure et un court apprentissage, il entre aux Arts et Métiers à Aix en 1888 et en sortira trois ans après dans un rang moyen. Il était qualifié de " dissipé, bavard " et on disait de lui " peut mieux faire ". Après un service militaire de trois ans, il travaille dans plusieurs entreprises dont les " Etablissements Eiffel ". Il est toutefois plus intéressé par le Ciment Armé que par le métallique et entre dans une société de travaux en ciment armé qu'il quitte rapidement pour créer, avec un ami apportant temporairement les capitaux, son entreprise, le 1er mai 1899. L'entreprise devient en 1901 la société Boussiron et Garric (il s'agit très probablement d'Antoine Garric - Aix 1889), puis devient en 1904 la Société Boussiron après le retrait de Garric et enfin ,en 1929, les Etablissements Boussiron.

Le béton armé n'était pas inconnu puisque, dès 1849, un précurseur, Lambot, avait réalisé une barque et en 1867, Monier avait pris un premier brevet. Ce n'est pourtant qu'à la fin du siècle que ce nouveau matériau commence à être utilisé, surtout pour les planchers et dalles. Quelques années plus tard, la circulaire d'octobre 1906 le consacrera.

C'est pendant cette période foisonnante pour ce métier que Simon Boussiron se plonge dans la théorie et publie en 1899 deux ouvrages donnant les bases de calcul du béton armé, appliquées à " son système breveté ". Les formules générales de compression et flexion du béton armé sont ainsi définies. Si cet événement a son importance, c'est qu'il se situe dans une période où les autres jeunes constructeurs pensaient que ce nouveau matériau avait des caractéristiques qui ne suivaient pas les lois de la résistance des matériaux.

Mis à part quelques dalles, le premier ouvrage construit par Simon Boussiron en 1899 est le pont en arc de 15m de la Basse à Perpignan. En effet, on limitait à l'époque à 15 m les ponts à construire suivant ce nouveau procédé. Suivent en 1900, pour le Génie, qui a été la première administration française à adopter ce type de construction, les 28000 m2 de planchers de la caserne Niel à Toulouse et ce chantier lance véritablement l'entreprise.

Celle-ci étant techniquement et commercialement très compétitive, les ouvrages s'enchaînent de 1900 à 1904, essentiellement pour les chemins de fer, parmi lesquels :
- trois ponts pour les Chemins de fer de l'Est
- murs de soutènement de la gare de Clichy
- halles pour les gares

Toutes les administrations publiques mettent alors au concours les projets de construction, d'où une concurrence très vive entre les jeunes entreprises. C'est alors, en 1906, que Simon Boussiron dépose un brevet pour " l'articulation des arcs en béton ou en maçonnerie ". Le système proposé introduit dans les ouvrages, des articulations en trois points au lieu de deux: à la clef et à proximité de chaque culée. Avec cette innovation, il emporte le marché pour la couverture du canal St Martin, de 27,6 m de portée et 243 m de longueur. Cette réalisation lui assure une réputation qui va lui permettre de construire de nombreux ponts et de proposer des solutions hardies et novatrices, entre autres :
- pont d'Amélie les Bains, en 1909, portée de 40 m
- pont de Montauban, en 1911, deux arches de 53 et 56 m

Etant en contact permanent avec les chemins de fer, l'entreprise est au courant des préoccupations de son client et, en particulier, des problèmes et du coût des couvertures de hangars et ateliers, réalisées en charpente métallique. Simon Boussiron propose de réaliser les couvertures en voûte mince. Non seulement la dilatation est rendue possible par des joints mais il a l'audace de couper cette voûte par des lanterneaux, l'étanchéité de l'ensemble étant obtenue par un lissage au mortier de ciment. La première réalisation est celle de Bercy, 8 à 12 m de portée et 8cm d'épaisseur. Il s 'agit d'une évolution fondamentale et les portées sont poussées à 28 m pour les ateliers de La Garenne-Bezons.
La guerre de 1914 interrompt, les premiers mois, l'activité de nombreuses entreprises, dont Boussiron. La guerre de position qui s'installe montre bientôt que la guerre sera longue et qu'il est nécessaire de mobiliser l'ensemble de l'économie. L'action des hommes politiques (Alexandre Millerand, Albert Thomas, Louis Loucheur, puis Albert Claveille) conduit à définir trois priorités : armes, usines, centrales électriques. Il y a une forte demande de bâtiments nouveaux et Simon Boussiron est sollicité pour assurer, par exemple :
- Arsenal de Tarbes
- Poudrerie de Toulouse
- Ateliers de locomotives de Nevers
- Fonderie de Montbrison
- Ateliers de Nevers pour les Américains (17500 m2 et ponts de 60 T réalisés en 7 mois).

La reconversion, après la guerre est difficile. L'entreprise essaie de se diversifier et s'oriente vers les travaux publics , par exemple les travaux de renforcement et d'élargissement des ouvrages d'art pour le ferroviaire:
Pont de la Haute Chaîne à Angers, portée 100m

C'est toutefois dans les grands ouvrages qu'elle tire parti au mieux de ses innovations :
- Pont sur le Lot en 1925, portée 91m
- Pont sur l'Oise à Conflans en 1929, portée 126m
- Pont suspendu sur la Durance, en 1931, portée 300m

L'entreprise entreprend aussi des travaux en Afrique du Nord :
- Viaduc de l'Oued Habra, Algérie, en 1930, portée 42m
- Pont en courbe sur l'Oued Korifla, Maroc, en 1931, portée 70m

L'année 1936 marque un changement important dans l'entreprise. Simon Boussiron vit assez mal les mouvements sociaux qui se sont développés partout et ne se sent peut-être pas l'interlocuteur idéal pour discuter avec les syndicats. Il décide de confier la direction de l'entreprise à son gendre Jacques Fougerolle , époux de sa fille Jeanne
Solange Fougerolle, fille de Jacques et Jeanne Fougerolle, et petite fille de Simon Boussiron, décrit celui-ci comme quelqu'un de foncièrement bon, proche de son personnel, exigeant pour lui comme pour les autres, large d'esprit mais soupe-au-lait, capable de colères terribles mais réparant rapidement. Il avait probablement une approche plutôt paternaliste de l'entreprise qu'il avait créée de toute pièce, ce qui était courant à l'époque . Ceci est confirmé par le fait que de véritables dynasties ouvrières s'y étaient constituées.
Il était reconnu par l'ensemble du personnel comme un grand patron, sachant recruter, motiver et soutenir les meilleurs, par exemple Nicolas Esquillan (Ch 1919) (voir AMM Ja-Fe 2003) ou André Forestier (Ch 1918). Une photo de 1949 réunit environ 200 cadres et employés de l'entreprise. A la suite du décès brutal de Jacques Fougerolle en 1965, l'entreprise est cédée en 1969 à la CFE, puis se retrouve en 1974 chez Bouygues où elle a pratiquement disparu.
Il était Commandeur de la Légion d'honneur et une rue porte son nom à Perpignan.
Son extrême discrétion fait que peu de choses ont été écrites sur lui mais on sait que son implication à la Société dans la mise en place de la 4e année à Paris (on disait qu'il " couchait avec la 4e année), en 1947-1950 a été très importante.
Il est décédé le 25 décembre 1958 et est inhumé à L'Etang-laVille (78)

Edmond De Andréas - Aix 1945.

 
. . .