BRIZAY
Emile - Angers
1917
Il a réuni l'imagination, la faculté d'adaptation
et l'esprit d'entreprise.
Emile Brizay naît le 25 février
1900 à Nantes . Son père était un instituteur
très laïque, comme la plupart de ses confrères
de l'époque, mais il était aussi très
dévoué, conscient de sa mission, exigeant
pour lui-même et pour les autres. Son oncle, frère
de son père, très entreprenant, avait monté
une société d'importation, achetant le charbon
par péniches entières en Russie, le lavant
à Rouen et le commercialisant . On voyait encore
avant la dernière guerre des publicités pour
le " Charbon lavé à Rouen ". Il
avait aussi mis au point avec l'aide d'un technicien, un
tapis roulant pour accélérer les manutentions.
En 1916, peut être influencé
par le milieu enseignant, il s'engage et fait les deux dernières
années de guerre. On a en effet dit que le discours
très patriotique tenu par les instituteurs de l'époque
avait pesé sur l'engagement en faveur de la guerre
de la population, on le leur a même reproché.
Il sort de la guerre indemne et on peut imaginer ce que
ces deux années ont représenté pour
un gamin de seize ans ! Son fils Claude raconte que son
père n'a jamais parlé de son expérience
des combats et n'a même jamais dit à ses enfants
qu'il était titulaire de la croix de guerre. Celle-ci
a été retrouvée par hasard, après
son décès, au fond d'un tiroir.
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Il entre aux Arts et Métiers d'Angers à la démobilisation
et en sort avec une grande partie des autres promotions de guerre
en 1921.
A sa sortie, il travaille dans deux sociétés pendant
deux ans, puis est embauché par Freyssinet, le père
du béton précontraint. Il participe ainsi à
la construction d'une des plus fameuses réalisations de
ce grand ingénieur, le pont de Plougastel sur l'Elorn,
ainsi que les hangars de Villacoublay.
La construction se ralentissant : " il n'y avait plus une
seule grue dans Paris " aimait-il à dire, il répond
à une annonce de la Société Brossard-Maupin
qui recherchait un ingénieur connaissant le béton
précontraint pour sa filiale de Singapour, est embauché
et part pour la Malaisie en 1926, ne connaissant pas un mot d'anglais.
Il trouve là une intense activité à sa mesure,
ayant à réaliser de remarquables ouvrages, souvent
avec les moyens du bord (voir encadré). Il comprend aussi
très rapidement qu'il peut, dans ce pays qu'il commence
à connaître, tenter sa chance en créant son
entreprise. Il démissionne en décembre 1928, retourne
en France pour une période de congés.
Il y rencontre en Algérie Madeleine Dyonnet, fille d'un
fonctionnaire militaire, et ils se marient le 20 juillet 1929.
Ils auront quatre garçons (qui deviendront stomato, architecte,
ingénieur et avocat) dont trois sont toujours en vie.
En septembre 1929 il revient en Malaisie, il crée donc
son entreprise et gagne quelques contrats (voir encadré)
malgré la période très difficile de la grande
dépression, ceci grâce aux prix qu'il consent, se
contentant d'un faible profit mais surtout tirant un gros avantage
de sa connaissance technique des constructions en béton.
Les choses s'améliorent à partir de 1934. Il s'installe
alors définitivement à Singapour et, devant les
difficultés de logement, se fait promoteur-constructeur
: il achète un terrain de 6 hectares, le lotit et se réserve
la première maison. Les autorités locales lui demandent
d'appeler ce lotissement " Brizay Parc ".
En 1940, il se range du côté
de la " France Libre ", devient fervent gaulliste et
parle à la radio pour les francophones, un quart d'heure
tous les jours, jusqu'à son départ pour l'Australie.
Il héberge, à la même époque deux français,
Pierre Boulle, l'auteur, après la guerre, de " Aux
sources de la Rivière Kwaï " dont on a tiré
le film " Le Pont de la rivière Kwaï ",
l'auteur aussi de " La Planète des Singes ".
Ils restèrent des amis très proches jusqu'à
la mort de E. Brizay. Le deuxième français hébergé
était Edouard Corniglion-Molinier, qui a servi dans l'aviation,
est devenu Général de l'Armée de l'Air, Compagnon
de la Libération et homme politique. A eux trois, ils avaient
formé un petit groupe essayant de venir en aide aux Français
pris dans la tourmente.
En décembre 1941, devant l'avance
japonaise, l'Air Vice-Marshal anglais, voulant protéger
les avions de l'armée, lui téléphone un jour
à 6 H du matin pour lui demander dans quel délai
minimum il pourrait construire des hangars, ses services lui ayant
dit que ce serait 16 mois. Il répond qu'il a une idée
et qu'il aurait un prototype pour le soir même à
18H. C'était une construction en bois, assemblage par clous.
Il obtient le contrat pour en construire 150
qui ne serviront
jamais (du moins par les Anglais).

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Les évènements font
que son épouse, avec ses quatre enfants part, par
avion, s'installer, fin 1941, en Australie. Il quitte, lui,
Singapour en février 1942 sur un bateau hollandais
qui, ne voulant pas se joindre à un convoi, échappe
miraculeusement aux Japonais, le convoi, lui, ayant été
coulé.
Sitôt arrivé, il se met à la disposition
du Général Casey, un adjoint de Mac Arthur
et lui fait part de son expérience de Singapour,
entre autres de la dispersion des avions dans des hangars
camouflés. Il est présenté à
Mc Arthur qui le fait nommer Ingénieur consultant
auprès de l'Ingénieur en chef de l'armée
US. A ce poste il construit, en deux ans, des centaines
de hangars dans les environs de Brisbane et Sydney pour
abriter les avions, et, pour les construire, obtient l'importation
de deux cargos (Liberty ships) de bois de l'Orégon.
En effet les bâtiments construits étaient en
bois y compris les poutres en treillis.
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Parmi ces hangars, certains étaient
destinés à abriter des avions, d'autres, beaucoup
plus importants (largeur de 33 à 55m) à stocker
les milliers de tonnes de matériel destinés à
l'armée. Sa mission était de construire pour deux
ans : " si les hangars duraient plus longtemps, c'est que
l'on avait dépensé trop ". Certains d'entre
eux étaient toujours utilisés à la fin des
années 1970 et le sont peut-être encore aujourd'hui.
Le modèle de ces bâtiments a été d'ailleurs
repris par les Anglais pour les besoins de l'armée en Inde.
Toujours en 1943, et dans les mêmes fonctions de conseiller,
il propose une solution pour renflouer les bateaux coulés
par l'aviation japonaise. Il veut utiliser des ballons gonflables,
en toile, de 20 à 40 tonnes de déplacement, l'étanchéité
étant obtenue par des ballons légers caoutchoutés
faisant office de chambres à air. Ces ballons étaient
amarrés au bateau coulé par du personnel plongeur.
Un essai est fait le 3 décembre 1943 sur un remorqueur
coulé par 30m de fond et est un succès à
la suite de quoi il fait un rapport au commandement US sur la
méthode utilisée, valable pour des bateaux jusqu'à
2000 tonnes.
En 1945, il retourne en Malaisie et est chargé de reconstruire
une grande partie des ponts qu'il avait construits avant la guerre
et qui avaient été détruits. Il y passe trois
ans puis décide de rentrer définitivement en France
en 1948.
Il investit ses économies dans l'achat d'une propriété
de 50 hectares en Touraine, après avoir prospecté
en Normandie. Il arrache les vignes devant des vignerons scandalisés,
et plante des pommiers et poiriers suivant la technique de Mr
Bouchet-Thomas qui assurait une croissance rapide des arbres.
Il avait connu ce botaniste quand il avait projeté cet
investissement, une véritable reconversion. Les rendements
étaient rapidement très bons mais les prix très
concurrentiels. Il imagine alors de mettre sur le marché
ses fruits à contre-saison, chose qui n'était pas
ou peu pratiquée à l'époque. Il transforme
pour ce faire, des caves à vin creusées dans le
tuffeau en mûrisseries climatisées .
Quand on demande à son fils Claude
comment il voyait son Père, il parle d'abord de son intégrité,
" c'était un honnête homme dans tous les sens
du terme ". C'était aussi un homme d'engagement, son
parcours l'a prouvé. Il avait la curiosité des choses
et une grande imagination. Son fils architecte lui expliquant
par exemple la peinture abstraite, il essayait de la comprendre
alors que son milieu la rejetait. Sa sociabilité lui faisait
aborder les gens sans réticence aucune et enfin son sens
de l'opportunité lui a permis, au travers des péripéties
de sa vie, de toujours rebondir.
En 1979, à l'Université de Singapour, lors d'une
conférence sur " Our world in Concrete and Structures
", un hommage appuyé sur ses réalisations lui
a été rendu par le Professeur Jon Lim, et il a été
reconnu comme digne de figurer dans les annales de l'Engineering
de toute cette partie du monde
Il est décédé le 16 mars 1983 à Louveciennes
où il est inhumé.

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Principales réalisations
:
En France :
- Pont sur l'Elorn Hangars d'aviation à Villacoublay.
En Malaisie :
- Eglise catholique de Singapour Pont de Rasa
- Réservoirs à Batu Pahat en béton vibré
- Brizay Parc
- Pont de Muda River, un des plus longs de Malaisie
- Hangars avec poutres en treillis en bois pour l'armée. |
Edmond DE ANDREA - Aix 45
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