CAVALLIER Camille - Châlons 1871

Près de Pompey (Meurthe et Moselle), les terrassiers trouvent dans les déblais des pierres gris rougeâtre. Intéressé par ce minerai, connu dans la région, Frédéric Mansuy, un négociant établi à Pont-à-Mousson, obtient la concession du gisement. En juillet 1856, il crée une " usine à fer ", achetant pour cela six hectares au sud de la ville, entre route, voie ferrée et canal. (…) Il prend comme directeur Xavier Rogé (Ch. 1850), qui devient en 1865 cogérant de la société transformée par la suite en Société anonyme des hauts-fourneaux et fonderies de Pont-à-Mousson (…). Xavier Rogé connaît la famille Cavallier et ayant remarqué les qualités du garçon, conseille aux parents de l'envoyer aux Arts et Métiers de Châlons, où il est reçu en 1871. Après un an de service militaire, il entre à Pont-à-Mousson en 1875. Très vite, il est l'adjoint immédiat, l'ombre fidèle de Rogé, et lorsque ce dernier, atteint par la maladie, doit se retirer, sa succession est assurée.

En janvier 1901, l'assemblée générale des actionnaires nomme Camille Cavallier, administrateur unique à sa place avec les mêmes pouvoirs. Dès lors, l'histoire de l'homme et de la société vont se confondre pendant cinquante années. Pont-à-Mousson a, dès ses débuts, fabriqué des éléments de canalisations et rapporte d'Angleterre l'idée de couler les tuyaux debout et non plus couchés (…). Comme il se veut " au milieu de sa ruche ", il fait construire sa maison contre l'usine, sur la route Nancy-Metz. Il peut être à la fois au chargement du fourneau, la nuit si un incident cassait le rythme des soufflantes, et à l'entrée matinale des bureaux, où il arrivait le premier...

Comme son prédécesseur, Camille Cavallier connaissait l'importance du minerai, et la chasse à la mine devient une véritable passion. Des premières recherches dans le bassin de Nancy sont sans succès. Des sondages sont alors effectués dans la région d'Auboué. La France a perdu, par le traité de Francfort, ses ressources du nord de la Lorraine. Bien que placé dans des terrains aquifères, le puits est réalisé en employant la méthode de congélation et, en 1913, Auboué est la plus importante mine de fer de France. Une nouvelle fonderie est installée à Foug, près de Toul, et la production atteint 187 000 tonnes en 1913.

Camille Cavallier pense que l'exportation est un impératif national et, sous son impulsion, un réseau commercial est créé et réparti sur les cinq parties du Monde. Rien n'est épargné pour le rendre solide et efficace, en particulier dans le choix des hommes, formés pour être envoyés à l'étranger, mais ayant une tête suffisamment solide pour " résister aux charmes des tropiques " et conserver sous tous les cieux les vertus lorraines et l'esprit maison. Les résultats sont à la mesure de l'énergie déployée. En 1913, le tonnage de canalisations exporté atteint près de la moitié du tonnage coulé.

La Première Guerre mondiale frappe directement Pont-à-Mousson, aidé de son frère Henri (Ch. 1884) et de quelques collaborateurs non mobilisés, Camille Cavallier met sur pied un programme considérable de fabrication de guerre. À la fin du conflit, 20 % des obus français de 155 en fonte aciérée sortent de Foug. Mais la Lorraine est trop près du front, et après avoir parcouru la vallée de la Seine, il achète 50 hectares à Saint-Étienne-du-Rouvray entre chemin de fer et fleuve, et confie à Marcel Paul, son gendre polytechnicien, entré chez Pont-à-Mousson en 1906, les destinées de la nouvelle usine (…).

Plus que jamais, pendant ces quatre années, la vie de la société s'identifie à celle de son dirigeant : création d'usines, prospection minière, développement des fabrications, l'entraînant à de multiples déplacements. Administrateur unique, il fait nommer, en 1917, un conseil d'administration, et désigne son gendre comme successeur. À partir de l'armistice de novembre 1918, la vie de la société tient en trois mots impératifs : reconversion, reconstruction, expansion, utilisés avec une énergie indomptable.

Pour l'implantation du siège administratif de la société, Camille Cavallier choisit non pas Paris, où il s'était replié, mais Nancy, car " le chef industriel doit être au centre du groupe ". Ce regroupement à proximité des usines accélère le mouvement de reconstruction. Et tant que la société n'a pas retrouvé sa production d'avant-guerre, il travaille, sans un instant de repos, menant de front tous les problèmes techniques, financiers, sociaux, reconstruction des usines, réadaptation aux fabrications de paix. Le premier haut-fourneau en état est solennellement allumé par le président Raymond Poincaré le 23 novembre 1919 (…).

Le 18 octobre 1925, un vibrant hommage est rendu à Camille Cavallier pour son jubilé industriel. Il est un des rares chefs d'entreprise dans l'industrie lourde à s'être élevé au dessus des problèmes de gestion pour assigner à l'entreprise des objectifs d'ordre moral et dégager les principes d'une éthique industrielle. Et ce jour-là, il s'exprime ainsi : " Travailleur acharné moi-même, je mets le travail au-dessus de tout. Le travail, retenez cela, les jeunes, comporte en lui-même toutes les récompenses. Il donne la santé de l'esprit, il donne la santé du corps, c'est le refuge en toute chose. Le travail est la base de la dignité humaine ". Et il a fixé un but élevé à la société : " Donner du bien-être, soulager des misères par le travail, la solidarité, élever moralement tous ceux sur lesquels on a quelque action ".

Le 5 juin 1926, il confie par écrit à son collaborateur et ami de toujours, Charles Grandpierre, qu'il est conscient de toucher au terme de son existence. Il meurt le 10 juin, à 72 ans, après avoir présidé la veille encore l'assemblée générale des actionnaires. Comme prévu, c'est Marcel Paul qui lui succède, assisté d'Henri Cavallier

 

Extrait de l'article de Jean Vuillemin (Pa 40) parut dans Arts et Métiers Magazine - Octobre 2002.

 
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