Cayère
Paul - Aix 1907
"Ce qui frappait dans son intelligence était
la faculté d'aborder les sujets les plus divers associée
à un pouvoir de pénétration peu commun."
André Bérard (Cl 1924).
Paul-Elie-Alphonse Cayère naît
le 25 juin 1892 à Grenoble, 9 rue Billerey, dans
le quartier Saint Laurent, fils de Paul-Jean Cayère,
gantier et de Marie Ageron, son épouse. A la fin
du 19e, vivait là un milieu populaire d'une petite
classe moyenne, employés ou artisans, traditionnel
et de grande conscience professionnelle. Il prépare
à Vaucanson le concours aux Arts et Métiers
où il entre en 1907, 4e sur 112, l'un des plus jeunes.
Il en sort en 1910 avec une médaille d'argent. Il
trouve son premier emploi à la Société
Nouvelle des Moteurs Sabathe à Saint Etienne mais
il décide, au bout d'un an, de suivre les cours de
l'Institut Electrotechnique de Grenoble d'où il sort
diplômé en 1912. Il y rencontrera Louis Barbillion,
ancien de Sup Elec, le fondateur de cet institut en 1906,
qui restera pour lui un maître vénéré
tout au long de sa vie. La même année il commence
à préparer son premier brevet sur les régulateurs
tachyaccélérométriques pour turbines
hydrauliques.
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Il est incorporé en 1913 au 5e
dépôt des Equipages de la Flotte et embarque comme
matelot-dessinateur sur le cuirassé Paris qui assurera
la protection des convois en Méditerranée. Il y
restera pendant ses deux premières années de guerre,
l'esprit en éveil et faisant son profit de l'étude
des systèmes de régulation (torpilles et conduite
du navire) utilisés sur ce bâtiment.
En 1916, ayant probablement fait le plein de ce qui pouvait satisfaire
sa curiosité et alimenter sa réflexion, il est volontaire
pour l'aéronavale, où il est nommé pilote
débutant après sa formation et où il sera
démobilisé avec le grade de Maître et la croix
de guerre. Il fait alors équipe avec l'Enseigne de vaisseau
Robert Montagne, qui enseignera en 1948 au Collège de France,
et qui sera, lui aussi un de ses modèles. Entre temps,
en 1917, il fait breveter son invention sur les régulateurs
et en 1919, il rédige un mémoire sur la stabilité
des aéroplanes, prélude à un brevet sur un
viseur de bombardement.
Démobilisé, il entre chez Neyret-Beylier, qui deviendra
Neyrpic après la seconde guerre mondiale. Il en sera l'Ingénieur
en Chef et il assurera la paternité d'un certain nombre
de brevets, toujours dans ses domaines de prédilection
: la régulation et la métrologie.
Dans ce parcours classique pour un brillant Ingénieur,
intervient alors un changement radical. Il entre au Grand Séminaire
en 1924 et est ordonné prêtre le 14 Juin 1930. Dire
l'incompréhension du milieu grenoblois et même, pour
certains, la consternation, est une évidence, d'autant
plus qu'il semblait être un athée. Il n'est pourtant
pas, pendant ses études au séminaire, hors du siècle.
Il intervient, par exemple, dans son ancienne entreprise où
il a été appelé en consultation technique.
C'est après son ordination qu'il adopte ce qui sera sa
signature désormais :
Abbé Cayère
Ingénieur A. et M. et I. E. G.
Après quatre ans d'affectations
sacerdotales diverses pendant lesquelles il réfléchit
et prépare ce qui sera son projet de vie, il fonde en 1935
l'Ecole Libre d'Apprentissage de Grenoble : l'ELAG. Il s'y consacrera
toute sa vie sans retenue et en fera une réussite si l'on
en juge par les résultats obtenus avec des moyens qu'il
lui a fallu trouver car il a toujours refusé les subventions
sollicitées, y compris celles de l'Eglise.
Cette école était originale à plus d'un titre
:
- Elle a été fondée
par un Syndicat d'Apprentissage composé de patrons, de
cadres et d'ouvriers
- La méthode d'enseignement s'appuie sur l'expérience
et l'observation par la mesure
- Les élèves réalisent des fabrications
pour l'industrie
- L'éducation vise à préparer des hommes
responsables
Ce n'est
donc pas une école technique comme il en existe déjà
beaucoup à l'époque mais une école d'apprentissage,
ce que Georges Charpak a bien illustré récemment
avec son slogan : " mettre la main à la pâte
". Paul Cayère utilise une formule choc , s'adressant
à ses élèves : " Soyez des cérébraux-manuels
".
Une école à bâtir à partir de rien,
un programme novateur, pas ou peu d'argent, voilà un projet
à sa mesure, dans lequel il s'investit totalement et qui
est probablement pour lui une mission au sens chrétien
du terme. Il est seul et sans moyens et pourtant réussit.
En quelques années, il aura son école, ses machines
et un nombre de candidatures à l'entrée qui l'oblige
à faire une sélection sévère. Cette
sélection est d'ailleurs bien dans l'air du temps, l'enseignement
technique en général drainant les meilleurs éléments
des classes primaires et primaire supérieure vers le technique.
Les résultats sont bientôt là : la réussite
au CAP atteint 100% et la renommée de son établissement
franchit rapidement le cadre local.
En 1949, ayant déjà
des soucis de santé, il demande à sa hiérarchie
catholique de l'aider et l'enseignement général
de son école est confié aux Frères
des Ecoles Chrétiennes, lui-même se réservant
les études techniques. L'effectif de l'école
atteindra 150 élèves. S'ouvre alors pour lui
une période très riche qui dure une dizaine
d'années et pendant laquelle, dégagé
des soucis administratifs, il dépose l'essentiel
de ses brevets, une trentaine, et rédige ses articles
d'enseignement ou résumés d'études
la plupart publiés dans le bulletin trimestriel de
l'ELAG. En 1959, les Frères ne pouvant plus assure
l'enseignement général, quittent l'Ecole et
il reprend le flambeau malgré un état de santé
inquiétant.
Si l'on sent bien que la Régulation, au sens large
du terme, c'est-à-dire la maîtrise du fonctionnement
des systèmes en mouvement, et la Métrologie
allant du comparateur à la mesure des états
de surface, sont toujours ses deux domaines de prédilection,
il s'intéresse aussi à d'autres domaines.
On trouve par exemple, dans le bulletin trimestriel de l'ELAG
d'avril 1957, une étude sur l'oreille intitulée
: " Un Mécanicien contemple la Création
: L'Oreille. "
En 1959, les Frères quittent l'Ecole et il reprend
le flambeau, seul, malgré un état de santé
inquiétant. Son uvre a survécu ; elle
existe toujours aujourd'hui.
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Quelques
uns des articles :
- Les régulateurs de turbines hydrauliques (Arts et Métiers
octobre 1927)
- Métrologie des angles
- Métrologie des états de surface :1962
- Le niveau à bulle : 1962
- Recherches expérimentales sur le contrôle opératoire (tournage,
rectification…)
- Rugomètre à empreintes
- Un pionnier de l'automatisme, Louis Barbillion et l'Ecole
grenobloise de régulation
Pratiquement tous les bulletins de l'ELAG comprennent un article
de Paul Cayère, souvent couplé avec un catalogue de prix des
outils pour la métrologie fabriqués par l'Elag
- Etudes sur l'oreille et le grain de blé. |
Nous n'avons pas de documents concernant
personnellement Paul Cayère et son ascendance. Il n'a pas de descendance
directe ou indirecte pouvant témoigner. On ne sait rien de ses
premières années ni de sa famille d'origine ; les trous dans la
partie privée de sa biographie sont d'ailleurs très grands et
pour appréhender l'homme, on en est réduit aux hypothèses. On
sait seulement qu'il avait une sœur décédée sans enfant. Le seul
témoignage, à notre connaissance, sur ce qu'était l'homme Paul
Cayère est de André Bérard (Cl 1924) , un ami proche, qui a écrit
un article dans Arts et Métiers d'octobre 1967.
Il écrit : " Tout ceci ne donnerait de Paul Cayère qu'un image
bien incolore si l'on taisait sa foi chrétienne. Ne pas en parler
serait le trahir. Seule pourrait retenir la crainte de ne pas
être assez délicat vis-à-vis de la conscience de nos camarades
qui ne partagent pas sa foi…. Pour lui qui a créé toute sa vie,
Dieu était d 'abord le Créateur dont il contemplait l'œuvre à
travers les lois de la mécanique qui lui étaient si familières,
et dans la nature qui ne cessait de l'émerveiller. "
Trouver, à ce point, chez le même homme, la Raison et la Foi,
la Science et la Religion, n'est pas courant, du moins chez les
ingénieurs. Claude Bernard, cité par Pierre Chaffiotte (Cl 1935)
dans son ouvrage " Le Charbonnier et le Savant ", écrit : " le
pourquoi des choses dépasse nos possibilités d'analyse, nous devons
nous contenter du comment ". La vie de Paul Cayère montre portant
qu'il avait trouvé " son " équilibre avec la Foi et la Raison.
Il est décédé le 26 février 1967 après avoir subi l'amputation
des deux jambes et est inhumé à Grenoble, au cimetière Saint Roch.
En 1912, Paul Cayère
illustre à l'encre de Chine
son rapport de stage dans une usine hydroélectrique

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Quelques brevets :
- 496926 en 1917 : Régulateur de vitesse à action indirecte
(Tachyaccélérométrique)
- 552010 en 1921 : Tachymètre à force centrifuge (brevet Neyrpic)
- 563760 en 1922 : Mécanismes répartiteurs réalisant automatiquement
entre les machines motrices d'une usine la répartition de
la puissance qui donne le rendement optimum de l'ensemble
- 955610 en 1947 : Dispositif de triage et classement des
poudres fines
- 1024183 en 1950 : Brides autoclaves pour fluide surchauffé
à haute pression
- 1084711 en 1953 : Servo-micromètre pneumatique
- 1245665 en 1959 : Appareil pour mesurer la rugosité, à coupe
virtuelle par empreintes |
Edmond DE ANDREA - Aix 45
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