Pierre-Philippe Chaffiotte (Cl. 1935)

Ce spécialiste de la mécanique fine des moteurs a déposé plus de 30 brevets au cours de sa carrière.
Ce qui ne l’empêcha pas de multiplier les engagements associatifs.



Pierre Chaffiotte naît au Creusot le 28 janvier 1917, après une soeur et un frère, Philippe (Cl. 20), d’un père contremaître chez Schneider. Il prépare les Arts et Métiers à l’École spéciale du Creusot avec un fils de voisins, Jacques Cliton (Cl. 35). Il y est admis en 1934 mais, malade, ne peut intégrer qu’en 1935. Il en sort major. Polytechnique et Centrale lui proposent l’admission directe en deuxième année, mais sur les conseils de Pierre Pillot (Li. 23), délégué général de la Société des Ingénieurs AM, il cherche à entrer à l’École des moteurs, alors dirigée par Paul Dumanois, inspecteur général de l’Aéronautique et spécialiste des moteurs Diesel. Il essuie d’abord un refus poli mais, recommandé par Jean Fieux (Cl. 1902), il est admis avec huit autres élèves et termine major en 1939. Peu après sa sortie, Pierre Chaffiotte travaille quelques jours chez Hispano-Suiza (HS), est mobilisé comme aspirant à l’École d’application d’artillerie de Fontainebleau, puis en sort en janvier 1940, encore une fois major. Engagé avec sa division sur le front de l’Aisne, il est fait prisonnier et part en captivité.

Les Allemands ne considérant pas les aspirants comme des officiers, Pierre Chaffiotte est interné en Stalag et non en Oflag. Homme d'action, il réunit en association les aspirants du camp, ce qui lui permet de discuter avec les responsables du Stalag des conditions de détention: en effet, il parle allemand.

Il devient ainsi "l'homme de confiance" des aspirants à Stablack: c'est dans ce camp que la majorité des "aspis", population turbulente, a été groupée. Les prisonniers "transformés", c'est-à-dire ayant choisi de travailler comme "travailleurs libres", parmi lesquels on comptait des aspis, étaient principalement affectés à l'agriculture. Ils étaient donc dispersés et Pierre Chaffiotte, aidé d'une équipe, était chargé de veiller sur eux en relation avec le ministère de l'Agriculture allemand. Il a ainsi contribué à organiser leur rapatriement en 1945. Ces activités n'ont à aucun moment franchi la frontière de la collaboration, malgré la pression de certaines personnalités françaises. Pierre Chaffiotte est toutefois appelé à se justifier à son retour en France, ce qu'il fait par un rapport détaillé. Le dossier est ensuite clos. Après son retour, il épouse Elisabeth Gravey. Ils auront 4 enfants et 10 petits-enfants.

En 1945, il revient chez Hispano-Suiza et y restera jusqu'en 1973. Il devient directeur technique du groupe en 1962. Il y déploie ses talents d'ingénieur, d'abord dans l'aéronautique et surtout dans les moteurs. En 1939, il avait admiré chez HS le moteur à pistons 12Y, qui équipait les avions de chasse Morane 406. Porté à 1 000 CV, il donnait une très belle machine, malheureusement supplantée par le fameux ME 109 allemand qui utilisait l'injection directe du moteur Daimler-Bentz 601. En 1946, Pierre Chaffiotte, alors ingénieur d'essais, participe à l'évolution du 12Y en 12Z. Envoyé au sein d'une équipe chez Rolls-Royce pour se familiariser avec la technique des premiers avions à réaction, il découvre le prototype du premier turbo-réacteur, le Nene, dont Snecma acquiert la licence en 1951. Il équipera, entre autres, l'Ouragan et le Nord 2200. Pierre Chaffiotte met au point la postcombustion montée sur l'Ouragan, qui mènera une belle carrière. Snecma produira 3 500 turboréacteurs Nene. Mais cette activité militaire, essentiellement due à des commandes de l'État, est progressivement détournée d'HS vers Snecma. Il faut alors trouver un plan de charge hors aéronautique. D'où la mise au point de turbocompresseurs, d'abord pour les diesels de la SNCF, et plus généralement des turbomachines, parmi lesquelles les turbines à gaz industrielles. HS acquiert ainsi une expérience dans les grandes vitesses de rotation et les aciers inoxydables, ce qui lui permet d'aborder le nucléaire. Le groupe crée, par exemple, des pompes à sodium pour la pile Rapsodie. Cette activité prend toute son importance avec la fourniture des compresseurs à hexafluorure d'uranium pour l'enrichissement en uranium des usines de Pierrelatte, puis de Tricastin (usine Georges Besse). Dans le nucléaire encore, l'expérience de la mécanique fine de HS l'amène à participer à la mise au point des installations qui ont équipé Mururoa, pour la première explosion nucléaire de 1966, en présence de Charles de Gaulle et à laquelle il assiste également, ce qui ne va pas sans lui poser un grave cas de conscience.

Un homme de réflexion Le dévouement de Pierre Chaffiotte envers la Société des ingénieurs AM a été constant et il a fait partie des instances représentatives pendant 13 ans, dont 3 ans comme vice-président Enseignement (il est notamment l'auteur d'un rapport sur l'évolution de l'École), et 3 ans comme président. Durant ce dernier mandat, il a la lourde charge de négocier le nouveau statut de l'École avec les pouvoirs publics, en souffrance depuis de nombreuses années. Il obtient de préserver les caractéristiques de la formation Arts et Métiers. Il faut ajouter à ses mandats la présidence du Centre de Paris en 1979. Il reçoit de la Société le prix Nessim Habif en 1989. Pierre Chaffiotte a aussi été vice-président de la Fasfid (Fédération des associations et sociétés françaises d'ingénieurs diplômés) en 1964; membre du conseil des Ingénieurs civils de France, de la Société d'encouragement pour l'Industrie nationale et du comité directeur du CNISF (Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France). Il était également un homme de réflexion, on peut dire un penseur. Ceux qui ont lu son livre, "Le charbonnier et le savant", connaissent l'étendue de sa culture scientifique jointe à une argumentation serrée. Ces qualités lui ont permis d'aborder le thème de la foi et de la science dans une étude de haute tenue, imprégnée d'une culture de fraternité entre les peuples. Il était doté d'une forte personnalité et ne refusait jamais l'engagement. Esprit scientifique par la rigueur et l'analyse, il était aussi profondément ingénieur par la faculté de trouver les solutions pratiques à ses analyses. Ses camarades ont gardé de lui l'image d'un grand gadzarts. Une maladie a affecté ses dix dernières années; il est décédé le 24 décembre 1998 et repose à Voisins-le-Bretonneux. Il était chevalier dans l'ordre national du Mérite depuis 1967, dans la Légion d'honneur depuis 1988 et avait reçu la Croix de guerre 1939-45 en 1940.

Edmond De Andréa (Aix 1945)

 

 
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