André
Ertaud (Pa. 1928)
D'abord engagé dans la marine de guerre, André Ertaud vivra
un parcours hors du commun parmi les pionniers de l'énergie nucléaire.
Si André Ertaud a connu une
carrière et une vie exceptionnelles, l'hérédité
familiale n'y est certainement pas étrangère.
Installé sur l'île de Trentemoult, en face
de Nantes, sa famille véhicule une longue tradition
de marins, de pêcheurs et d'armateurs (sept Ertaud
ont péri en mer entre 1874 et 1908). Fait rarissime,
les Ertaud bénéficient d'un double privilège
: celui de pouvoir pêcher dans l'estuaire de la Loire,
mais aussi d'exercer le métier de monnayeur à
l'Hôtel des monnaies de Nantes. Son ancêtre
direct, qui s'appelait aussi André Ertaud, occupa
notamment cette fonction.
André naît le 3 septembre 1910 à Sabarat,
dans l'Ariège. Il est le fils de Fernand Ertaud et
de Thérèse Delrieu. Fernand est cap-hornier
et fils de Gédéon Ertaud, capitaine au long
cours. André a un frère prénommé
Jacques. Celui-ci deviendra cinéaste et réalisera,
avec Jacques-Yves Cousteau, le célèbre documentaire
"Le Monde du silence". André et Jacques
feront partie d'un groupe de spéléologues
très liés à Haroun Tazieff, Maurice
Herzog et Jacques-Yves Cousteau.
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Après l'école primaire supérieure
complétée au collège technique Lavoisier,
André entre aux Arts et Métiers à Paris en
1928 et en sort dans les tout premiers en 1931. Il est admis la
même année à l'École des ingénieurs
mécaniciens de l'École navale et embarque pour la
première fois en 1934, sur le torpilleur La Bourrasque,
après le traditionnel tour du monde sur la "Jeanne".
Débuts maritimes
En 1935, il navigue sur le croiseur léger "Émile
Bertin". Ce bâtiment étant très moderne
pour l'époque, il atteint aux essais une vitesse de 37,9
nuds (70 km/h). Il fait partie des rares bâtiments
de la très belle flotte française de 1939 à
avoir survécu à la guerre.
Après une courte formation, il est affecté en 1940
sur le "Souffleur", puis sur l'"Actéon",
des bâtiments sous-marins. La période 1939-1942 est
très traumatisante pour le personnel de la marine de guerre
française. Un bref survol de l'histoire des quatre bâtiments
sur lesquels a opéré André Ertaud donne un
aperçu de ces destins fluctuants et dramatiques.
En 1940, il épouse Yvonne Reverdy,
décédée en 1998 ; ils auront trois filles
et dix petits-enfants.
L'année 1943 constitue un tournant essentiel dans la carrière
d'André Ertaud car, détaché de la Marine,
il s'engage entièrement dans une carrière scientifique.
Successivement il suit une courte année à l'École
supérieure d'électricité, obtient son doctorat
ès sciences et est affecté au Collège de
France. En 1945, on le charge d'une mission d'investigation scientifique
à caractère militaire dans l'Allemagne occupée,
avec succès puisque celle-ci lui vaudra la Légion
d'honneur.
En 1946, il découvre le nucléaire
et fera partie des ingénieurs ayant vécu l'épopée
de ce secteur, de Zoé à Superphénix. À
trente-huit ans, il intègre le Commissariat à l'énergie
atomique tout nouvellement créé. Sous la direction
de Frédéric Joliot-Curie, le CEA groupe une douzaine
de scientifiques français qui lancent le pari de rattraper
le retard français en la matière.
Avant la guerre pourtant, la physique était un domaine
où les scientifiques français tenaient un rang plus
qu'honorable. Sur la célèbre photo du conseil de
physique Solvay de 1927, qui réunit les meilleurs physiciens
mondiaux, figurent trois Français : Marie Curie, Paul Langevin
et Louis de Broglie, aux côtés d'Albert Einstein,
Max Planck ou Niels Bohr. Cette équipe a vécu une
aventure scientifique exaltante !. Désormais, il faut tout
reprendre : élaborer les théories scientifiques,
créer les technologies et même fabriquer certains
composants. André Ertaud se sent d'emblée à
l'aise dans cette tâche, car il cumule les connaissances
scientifiques et technologiques nécessaires, assorties
d'une expérience technique et humaine de la marine militaire.
L'aventure du nucléaire
L'intense collaboration de l'équipe du CEA se concrétise par la
création de Zoé, première pile atomique européenne. Installée
au fort de Châtillon, à Fontenay-aux-Roses, elle est activée pour
la première fois le 15 décembre 1948 et est utilisée sans incident
jusqu'en 1976. Cette réussite connaît un retentissement mondial
et marque le retour de la France dans la compétition scientifique.
En 1954 se profile un ambitieux programme
industriel : il comporte un volet militaire, la production de
plutonium, et un volet civil, la production d'électricité nucléaire.
André Ertaud, dont l'autorité est reconnue du fait de sa rigueur
et de son expérience, est détaché à la Société alsacienne de construction
mécanique (SACM), dans son tout nouveau département créé par Roger
Julia, frère du grand mathématicien Gaston Julia. André Ertaud
relève le défi du déchargement en service des deux énormes réacteurs
G2 et G3, qui constitue une première mondiale.
Fin 1959, la SACM groupe ses moyens d'ingénierie
nucléaire avec ceux des Chantiers de l'Atlantique, pour former
le Groupement atomique alsacienne atlantique (GAAA), dont André
Ertaud prend la direction technique.
GAAA poursuit son développement et réalise de nombreux projets
de réacteurs aux technologies très différentes : réacteurs à eau
lourde ou refroidis par liquide organique, projets avancés de
réacteurs gaz-graphite... Au début des années 70, se décide le
remplacement des 9 centrales uranium naturel-gaz-graphite, malgré
leurs excellents états de service, par des centrales équipées
de réacteurs à eau sous pression fonctionnant à l'uranium enrichi
de technologie américaine. André Ertaud s'investit alors de plus
en plus dans la réalisation de Superphénix. Après un premier changement
d'actionnariat, GAAA devient en 1976 Novatome, filiale de Framatome.
À 65 ans, André Ertaud devient le conseiller technique du président
du groupe de GAAA, mais il garde de ses dernières années d'activité
un souvenir amer : il assiste à la levée d'une opposition passionnelle
contre Superphénix, jusqu'à ce que le réacteur soit arrêté, malgré
une dernière année d'exploitation sans incident. Il en restera
très affecté.
Pour cet homme de rigueur, sérieux et réfléchi,
seul un raisonnement argumenté est acceptable, y compris dans
la sphère privée. On rapporte qu'au sein de son groupe de travail,
il attendait de tous un investissement approfondi. Il pouvait,
dans le cas contraire, se montrer odieux. Avec ce caractère entier,
il compte quelques ennemis, mais aussi de nombreux fidèles. Sa
fille, Florence, confirme ce trait de caractère. "On ne parle
pas pour ne rien dire", se plaît-il à affirmer, lui qui n'apprécie
pas les bavards et le fait sentir, même dans les dîners privés.
Il accorde peu d'importance à l'argent et la supériorité financière
l'horripile, seul le travail comptant à ses yeux. Il fait par
ailleurs preuve d'humilité et se rend abordable. Il s'intéresse
également à des sujets très différents, mais toujours avec application
et en examinant à fond chaque sujet. Lorsqu'il s'interroge sur
le sentiment religieux, il étudie les grands penseurs ; de même,
il établit une anthologie des poètes lorsqu'il s'intéresse à la
poésie. Il aborde la musique en mélomane éclairé.
Ses 75 publications, sans compter les conférences,
concernent essentiellement le nucléaire, mais quelques-unes portent
sur l'optique électronique, sujet de sa thèse de doctorat. Ses
cours à l'Ensam, à l'université Paris VI, au Cnam et à l'École
de guerre remplissent plusieurs volumes. Il est également l'auteur
d'un ouvrage en deux volumes : "Le second feu de Prométhée", dans
lequel il apporte des réponses aux questions récurrentes sur l'énergie.
Enfin, seul ou associé, il fait breveter 7 découvertes. André
Ertaud est également officier de la Légion d'honneur, officier
d'académie, titulaire d'un "Exceptional Award of the American
Nuclear Society" et capitaine de vaisseau de réserve. Il fait
partie du Comité de la Société des ingénieurs Arts et Métiers
de 1957 à 1960. Il décède le 25 décembre 2003 et est inhumé au
cimetière Montparnasse.
Edmond De Andréa (Ai. 45),
avec l'aide et la compétence de Pierre Boiron (An. 52)
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