Hippolyte Fontaine - Ch. 1848

Compagnon modeleur devenu grand patron, Hippolyte Fontaine sut triompher de tous les obstacles grâce à sa volonté, son savoir et son sens pratique.

1833 : la France de Louis-Philippe est toujours sujette à l'agitation politique, mais la monarchie de Juillet va favoriser l'instruction publique et l'essor de l'industrie et du commerce. C'est dans cette ambiance générale que naît, le 12 avril à Dijon, Hippolyte Fontaine, deuxième fils d'une famille modeste qui comptera treize enfants. Son père est un petit patron menuisier. À l'âge de six ans, le garçon, dont on a remarqué la vive intelligence, est mis en pension chez un ami de son père, l'instituteur G. Couchey, près de Dijon. À douze ans, aussi instruit que son maître, il seconde celui-ci dans ses fonctions de secrétaire de mairie, assiste au conseil municipal et en rédige souvent les procès-verbaux. À l'heure des émeutes de février 1848, bien que n'ayant pas encore quinze ans, il est enthousiasmé par les idées d'égalité et de fraternité qu'elles défendent. La même année, il est admis à l'École d'Arts et Métiers de Châlons.

Doué intellectuellement, Hippolyte est moins gâté physiquement : une légère paralysie latente, non soupçonnée alors, le rend assez maladroit de ses mains et peu habile pour le dessin et l'atelier. Pourtant, à peine diplômé, persuadé que, pour commencer une carrière, il faut d'abord passer par l'atelier, il n'hésite pas à partir faire son tour de France, à l'instar de son père. Il se dirige vers Lyon, à pied, avec pour objectif d'arriver à gagner trois francs par jour ! Son manque d'habileté ne l'aide pas, jusqu'au jour où, embauché par un patron qui utilise ses compétences en dessin pour le tracé d'un escalier, sa journée est enfin portée au salaire qu'il ambitionne !
Alors, conseillé par des camarades, il entre aux Ateliers d'Oullins, au bureau de dessin, dont il devient le chef. Mais en 1859, à vingt-six ans, il est atteint de paralysie musculaire, et devient incapable du moindre mouvement. Son oncle parisien, éditeur, le fait admettre à l'hôpital Saint-Louis à Paris, puis à l'établissement hydrothérapique d'Auteuil. Pendant longtemps, il se voit condamné par la médecine, obligé de subir des soins constants. Son intelligence étant restée intacte, il met à profit ce repos forcé pour étendre ses connaissances en mathématique et en électricité ; dans les livres de médecine que lui apporte son oncle, il étudie aussi ce qui a trait à sa maladie. Un traitement hydroélectrique, auquel il est soumis à sa demande, parvient à lui rendre l'usage de ses bras et, à un degré moindre, celui de ses jambes. Et il peut reprendre avec succès un poste aux Chemins de fer du Nord.
Néanmoins, en 1865, il préfère le poste d'ingénieur chargé de la construction des nouveaux docks de Saint-Ouen. En 1870, arrive la guerre, et les docks de Saint-Ouen sont mis en liquidation. Avec quelques ingénieurs, Hippolyte Fontaine est délégué pour organiser le contrôle et la fabrication de canons, à Paris. Après la tourmente, désirant se créer une situation indépendante, il fonde, avec son camarade Amédée Buquet, la "Revue industrielle", et crée la même année le "moteur domestique", une ingénieuse petite machine à vapeur de 15 kg, chauffée au gaz, destinée à fournir la force motrice aux artisans travaillant en chambre.

Succès complet à Philadelphie

C'est en 1871 que se produit l'événement culminant de sa destinée : un des administrateurs des docks de Saint-Ouen lui confie la direction d'une société qu'il vient de créer avec Zenobe Gramme (1826-1901), le génial inventeur belge d'une machine "magnéto-électrique" (en 1869). Leur association féconde va assurer le succès de la dynamo électrique. L'inventeur s'adonne tout entier au perfectionnement de sa machine et à ses applications, telles que l'électrolyse de l'argent pour la société Cristofle ou l'éclairage ; de son côté, Hippolyte Fontaine s'efforce de faire connaître l'invention et d'en tirer des résultats pratiques. Il produit la dynamo dans toutes les expositions.


En 1873, à Vienne, il présente ainsi deux machines Gramme. L'une est entraînée par un moteur à gaz, et, démonstration de la réversibilité, l'autre fonctionne en moteur, entraînant une petite pompe alimentée par des accus. À l'inauguration, la batterie est à plat ! Notre exposant relie alors le moteur à la dynamo Gramme, et ça marche… trop bien même, car l'assistance est éclaboussée ! Fontaine interpose alors entre les deux machines des couronnes de fil de cuivre jusqu'à ce que la vitesse redevienne normale ; il place ainsi 2 km de conducteurs. Et quand le cortège passe, il peut expliquer à l'empereur d'Autriche qu'il vient de réaliser un transport à distance de l'électricité. Cette expérience a un grand retentissement. En 1876, succès complet à Philadelphie, où l'État achète tout son matériel. Même succès en Angleterre, en Belgique et en Russie.

En 1881, se tient à Paris la première Exposition internationale d'électricité, avec un Congrès des électriciens. George Berger, commissaire général, associe deux hommes exceptionnels : Eleuthère Mascart et Hippolyte Fontaine. Mascart a su réaliser avec un tact parfait l'accord des électriciens de toutes nationalités sur de nouvelles unités internationales ; Fontaine regroupe autour de lui tous les représentants de cette nouvelle industrie. Ses qualités d'organisateur assurent le plein succès de l'exposition, qui est bénéficiaire. Et le boni de 325 000 francs attribué à la toute jeune Société internationale des électriciens, née en 1883 (et dont Fontaine sera président en 1889), permet de fonder le Laboratoire central d'électricité, inauguré en 1888. Le LCE donnera naissance à l'École supérieure d'électricité, qui prendra son autonomie en 1897.
Les liens étroits créés par les travaux communs sont concrétisés, grâce à l'ascendant d'Hippolyte Fontaine, en une Chambre syndicale d'électricité, dont il devient le premier président, et qui se transforme ensuite en Syndicat professionnel des industries électriques.

Fontaines lumineuses

Pour l'exposition de 1889, il assure l'organisation du colossal service de l'éclairage et de la force motrice, dont le bon fonctionnement est essentiel à la manifestation (qui utilise trois fois plus de lumière que tout Paris !). Et, pour la première fois, une exposition reste ouverte le soir, avec ses fontaines lumineuses. Pour ces deux expositions, Hippolyte Fontaine recevra les croix de chevalier, puis d'officier de la Légion d'honneur.
Jusqu'en 1901, il préside aux destinées de la société Gramme. Mais parallèlement, en 1887, il fonde la société "L'éclairage électrique", après avoir organisé dès 1883 la Compagnie électrique pour le transport de l'énergie.
En 1894, il prend la présidence de la Compagnie française des Métaux, puis en 1896 celle de la société "L'acétylène dissous". Sa notoriété le fait élire juge au Tribunal de commerce de la Seine. Infatigable, outre ses communications dans les bulletins des Arts et Métiers, dans celui des Ingénieurs civils de France et dans la Revue industrielle, il publiera plusieurs ouvrages, dont "L'éclairage à l'électricité" (1876), réédité trois fois, et "L'électrolyse" qui fera autorité. Il est invité à participer à l'élaboration des Règlements pour la distribution de l'énergie électrique, nommé membre du Conseil supérieur de l'enseignement technique, et inspecteur de cet enseignement.

D'une humeur toujours égale, l'esprit large et désintéressé, d'une grande bonté, Hippolyte Fontaine est généreux, dans toute la plénitude du terme. Il ne cessera de travailler au développement de la Société des Arts et Métiers : membre du Comité dès 1865, il y apporte sa méthode, sa capacité de travail, son énergie. Il est porté à la présidence pour un an en 1885 puis en 1889, et devient membre du Conseil de perfectionnement de l'École. Il s'intéresse par ailleurs à de nombreuses œuvres de bienfaisance, qu'il dote généreusement et souvent de façon anonyme, comme les Caisses des Écoles. Sous des dehors volontairement rudes, il porte à ses amis une affection pleine de délicatesse. Il ne décide de fonder une famille que le jour où, ayant triomphé des obstacles, il peut se consacrer à elle tout entier.
En janvier 1910, il quitte Paris pour passer l'hiver à Hyères. Le 10 février, il est atteint d'une grippe qui se transforme en broncho-pneumonie. Son gendre, le docteur Bordas, accourt de Paris, mais le gadzarts s'éteint sans souffrance le 17 février. À ses obsèques, célébrées à Paris, de nombreuses personnalités prennent la parole pour rendre hommage à son exceptionnelle réussite. Un lycée porte son nom à Dijon.

Jean Vuillemin - Pa. 40 et ESE 47

 
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