Paul-Louis Merlin (Ai. 1898)

Entre chance, travail et intuition, le cofondateur de Merlin-Gerin s’est forgé un destin d’entrepreneur hors pair.


Paul-Louis Merlin naît le 27 novembre 1882, place Saint André, à Grenoble. Il est placé très tôt en nourrice au pied du Belledonne, à Theys; c'est de là peut-être qu'il tiendra sa passion pour la montagne. Son père, Jean Merlin, coiffeur connu de l'avenue de la Gare, et sa mère née Marguerite Sonzini, ont eu aussi deux filles, qui seront couturières. Paul-Louis est un enfant turbulent, amateur de plaies et bosses, mais dont l'intelligence est remarquée par son instituteur qui propose à ses parents d'en faire... un instituteur. Le président de la Chambre de commerce, client de son père, lui conseille plutôt les Arts et Métiers.

L'adolescent intègre l'École d'Aix en 1898, après le collège Lesdiguières. Il est boursier, moitié de l'État, moitié du département. Après son diplôme et son service militaire, où il suit le peloton d'officier, et deux courtes expériences professionnelles, il entre aux établissements Maljournal et Bourron, à Lyon. Dans cette entreprise de matériel électrique, il devient directeur des Fabrications en 1914. Entre-temps, il a épousé en 1906 Camille Barnaud, fille d'un brossier et d'une frangeuse. Le couple aura deux fils, Paul et Henri, et une fille décédée en bas âge. L'ingénieur répétera encore, lors de ses quatre-vingts ans : "Une de mes chances, c'est d'avoir épousé Madame Merlin."

Mobilisé en 1914, il n'est pas envoyé au front, mais affecté à la formation des officiers, puis aux fabrications d'armement. Il retourne en 1919 chez Maljournal et Bourron, où il rencontre Gaston Gerin (Ai. 1906 et IEG), qui dirige le bureau d'études. Les deux compères ne se sentent pas à l'aise dans cette société et, semble-t-il à l'initiative de Paul-Louis Merlin, décident de créer leur propre affaire. Compte tenu de leur expérience et du climat industriel de l'époque, où l'électricité entre en force, ce sera principalement une entreprise de matériel électrique : après la guerre de 14, "le matériel électrique, c'est l'avenir", déclare Paul-Louis Merlin.

Toutefois, si les deux associés ont la compétence et l'envie de créer, ils disposent de très peu de moyens... Paul-Louis Merlin se souvient alors d'un capitaine qu'il a connu pendant la guerre, Hippolyte Bouchayer, qui règne sur un groupe industriel important. Lors d'une entrevue, il lui demande deux choses : lui louer l'usine de son groupe Fibrecol, située à Grenoble et à moitié désaffectée, et lui prêter 25 000 F. Non seulement ses deux demandes sont satisfaites, mais il obtient en plus la clientèle de toutes les usines du groupe d'Hippolyte Bouchayer pour le matériel électrique! Les deux créateurs d'entreprise trouvent un second soutien en la personne d'Henri Joucla (Ai. 1902), qui leur prête 25 000 francs à chacun, à condition que cette somme soit incorporée au capital. Tout cela leur permet, moyennant quelques ajouts personnels et familiaux, de réunir 100 000 francs. L'usine Merlin-Gerin peut ouvrir le 1er janvier 1920, avec 27 personnes ; elle en comptera 8 000 en 1970. Au début, les températures intérieures des locaux sont négatives en hiver et torrides en été ; mais le patron est toujours là et met la main à la pâte.

L'entreprise se caractérise, au départ, par l'absence de produit propre, la priorité étant de détecter les besoins des clients et de trouver le moyen de les satisfaire en achetant ou fabriquant les produits. Connaissant bien la fabrication, Paul-Louis Merlin exige une qualité irréprochable qui fera très rapidement la notoriété de la jeune société, laquelle prospère très vite. Mais cette expansion doit être financée. Et c'est là une des caractéristiques rares de Merlin-Gerin : les fondateurs, pragmatiques, ne cherchent pas à conserver le contrôle financier ; l'essentiel n'est pas là, mais dans la réussite de l'entreprise. Cette politique se retrouvera tout au long de la vie de la société.

On ne peut dire quelle a été la part de chacun des associés dans l'élaboration de cette stratégie mais, au vu de ce qui s'est passé par la suite, il est hautement probable que Paul-Louis Merlin était le fonceur impatient et charismatique, le raisonnable Gaston Gerin gardant le rôle de l'organisateur. C'est ce dernier, par exemple, qui met en place le très efficace réseau d'agents commerciaux. Jusqu'à la fin des années 1930, sont surtout fournis des produits haute tension (HT) demandés par la Marine, les mines et l'industrie lourde, c'est-à-dire des matériels blindés, antidéflagrants ou anti-grisouteux (cuirassés Richelieu et Jean Bart, mines d'Anzin, raffineries Standard Oil). C'est pendant cette période que sont créés les laboratoires d'essais qui conforteront la réputation de qualité des produits Merlin-Gerin, ainsi qu'un bureau d'études pour élaborer les produits demandés en adaptant les matériels de sociétés spécialisées obtenus par achat de licences.

Gaston Gerin décède en 1943. Paul-Louis Merlin se retrouve seul aux commandes et peut donner sa pleine mesure à son tempérament audacieux. Mais son existence est simple, familiale ; il va une fois par semaine dîner chez les fermiers installés dans sa ferme. De même que son épouse, il fait preuve d'un total désintérêt pour le luxe, sans aucun désir de paraître. Pour autant, il entretient les meilleurs contacts avec les hommes politiques, et sait les faire valoir quand il faut défendre l'industrie et... Grenoble. Vincent Auriol, à sa demande, patronnera l'Association des amis de l'université, et De Gaulle viendra visiter sa société en 1960.
Car la fin de la guerre de 1939-1945, la reconstruction et le développement du pays ont apporté de profonds changements dans l'entreprise, qui s'étend de plus en plus. Si la HT est toujours très présente, la BT (basse tension) prend une place importante. En 1949, un brevet a été déposé pour une belle innovation marquante : le disjoncteur pneumatique avec soufflage de l'arc à sec, le Solenarc. Si cette réelle innovation pour la HT assure une partie du développement de Merlin-Gerin, elle est complétée pour la BT par les postes de transformation ruraux et les postes sur pylônes. De sorte que, entre 1950 et 1970, le chiffre d'affaires se trouve multiplié par 10, le bénéfice net par 20, les effectifs par 2, le capital social par 6 !

Pour assurer cette expansion, les augmentations de capital se sont succédé, soit directement, soit par des prises de participation de groupes industriels amis, par exemple SW (Schneider Westinghouse) et Bouchayer. Ces alliés aideront à contrer l'OPA de la CGE (Compagnie générale d'électricité) en 1937. Si le succès est pour une grande part lié à la qualité de fabrication, donc aux investissements consentis, il est aussi largement imputable à la formation des salariés : organisée dès 1923 sous forme de cours, puis par une école d'apprentissage en 1929, elle culmine avec la méthode de formation Merlin-Gerin. La promotion interne par cette voie est une caractéristique de l'esprit "Merger". Aussi, dans cette entreprise à la culture plutôt paternaliste au départ, la modification des structures en centres de profits ne sera guère facile. D'où peut-être les quelques grèves assez dures qui s'y dérouleront, notamment celle de 1979.

En 1965, Paul-Louis Merlin cède son fauteuil de président à son fils aîné Paul ; lui-même, restant administrateur, continue à multiplier ses activités. Pour sa réputation de réalisateur et sa capacité de mobilisation, jointes à un grand charisme, on fait souvent appel à lui. Deux exemples: la création de la Promotion supérieure du travail à Grenoble, expérience pilote d'ascension sociale étendue en 1959 à toute la France ; et le sauvetage du couvent Sainte-Marie d'en-Haut, à Grenoble, qu'un élu traitait de "misérable bâtisse" mais qui a été heureusement transformé en Musée dauphinois. Au service de ces réalisations, Paul-Louis Merlin met avec enthousiasme et disponibilité sa force de conviction et, surtout, sa formidable confiance en lui. À 78 ans, ce commandeur de la Légion d'honneur donne encore des conférences en Sorbonne sur le "décloisonnement". Il décède le 2 mai 1973 et est inhumé à Grenoble. Merlin-Gerin est aujourd'hui incorporé dans le Groupe Schneider Electric avec sa propre marque, au même titre que Télémécanique et Square D (Canada).

Edmond De Andréa (Aix. 45)
Avec l'aide de Michel Cabaret (Ch. 52)

 
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