Marcel
Môme (Cluny 1917)
Fondateur de la société d'électricité et de mécanique Sagem, Marcel
Môme a assuré son développement malgré les crises ou la guerre.
Les années qui ont précédé
la Première Guerre mondiale sont connues pour avoir
été une période de légèreté
et d'amusement. Mais derrière ces paillettes, beaucoup
de familles de condition très modeste rêvaient
de voir leurs enfants prometteurs s'élever dans l'échelle
sociale par la voie royale de l'enseignement technique.
Ce fut le cas de Marcel Môme. Il naît le 11
janvier 1899 à Clermont-Ferrand, de Pierre Môme
et Marie Dufour. Sa mère est couturière et
son père, employé à l'octroi - un droit
perçu sur certaines denrées lors de leur entrée
en ville, disparu en 1948. Il a une sur aînée.
Pierrette Faurre, fille de Marcel Môme, décrit
ses grands-parents comme des personnes posées et
réfléchies, très soucieuses des études
qu'elles respectaient. Le jeune Marcel suit un enseignement
technique qui conduit, à l'époque, à
un emploi d'ouvrier, d'agent de maîtrise ou, pour
les meilleurs, au titre d'ingénieur. En 1917, il
intègre les Arts et Métiers à Cluny,
mais la guerre interrompt ses études, sa classe d'âge
étant mobilisée. À son retour, il obtient
en 1921 un diplôme d'ingénieur avec de nombreux
camarades démobilisés des différentes
classes de guerre.
Il est embauché comme ajusteur - ce qui est fréquent
- chez Michelin, puis à la Compagnie des Signaux
et entreprises électriques.
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En 1925, il "monte à Paris"
et la conjoncture étant très bonne, il fonde avec
l'aide de quelques amis la Sagem, Société d'applications
générales d'électricité et de mécanique.
Le nom même de l'entreprise montre qu'il s'agit de lancer
une activité sans idée préconçue des
produits qu'elle va vendre et fabriquer, mais qu'elle va saisir
toutes les occasions qui se présenteront dans ce domaine
très large. L'objectif est donc très pragmatique
: il s'agit d'assurer le développement de l'entreprise.
Un formidable esprit de réussite
Marcel Môme est entreprenant, et peut ajouter plusieurs
atouts à cette qualité : sa formation, l'expérience
acquise, ses relations dans ses deux précédentes
sociétés - sources de contrats -, ses amis auvergnats
ainsi que de nombreux gadzarts qui viendront le rejoindre, et
enfin l'appui de son beau-père, directeur à la Compagnie
des Signaux. Il est surtout animé d'une formidable volonté
de réussir. La suite de son parcours montrera qu'il est
un meneur d'hommes, qu'il anticipe les évolutions technologiques
et effectue des choix judicieux.
À ses débuts, la Sagem fabrique des caméras
et projecteurs Pathé Baby, répare des wagons de
chemin de fer, s'impose dans l'alimentation en énergie
des centraux téléphoniques et installe des colonnes
montantes électriques dans les immeubles. Son effectif
s'élève à 50 personnes dès la fin
de 1926. En 1928, l'entreprise ouvre une usine à Argenteuil
et installe son siège social au 26 rue de Naples, à
Paris. Elle acquiert ainsi pignon sur rue et compte 150 personnes
fin 1928.
La crise de 1929 survient alors que la société est
en pleine expansion. Elle surmontera cette épreuve grâce
à sa diversification sans préjugés et à
son personnel de mentalité auvergnate, dur à la
tâche et fidèle. Elle réussit encore mieux
en amorçant dans les années qui suivent un premier
virage technologique vers la mécanique fine. Elle se lance
alors dans la fabrication d'équipements de précision
pour la marine nationale : des directions de tir, des télémètres,
et surtout des gyrocompas. Ces appareils, utilisés sur
les navires et les avions, et leurs applications impliquent le
développement d'un bureau d'études dans des domaines
de pointe. L'entreprise peut dès lors se poser en interlocuteur
crédible dans l'armement.
La défaite de 1940 et les années d'Occupation imposent
une politique de survie, facilitée par l'existence de l'usine
de Montluçon en zone libre, acquise en 1934. Face à
l'Occupant, il s'agit de faire "profil bas" en concentrant
l'activité sur la réalisation de gazogènes,
d'installations frigorifiques ou de machines de fabrication de
chaussures. Mais c'est surtout une période de réflexion
sur les produits civils et militaires qui seront nécessaires
à la fin de la guerre. C'est ainsi que naissent les téléscripteurs,
dont un prototype capte le message annonçant le Débarquement
allié en Normandie. C'est un produit français, alors
que le marché naissant est dominé par les Américains
et les Allemands. Pour réaliser les études de ces
nouveaux produits, le nombre d'ingénieurs augmente considérablement.
On peut s'interroger sur le financement et la gestion de toute
cette expansion réalisée dans les pires conditions.
Elle s'explique de plusieurs façons : par des augmentations
de capital ; par une prise de participation de la Compagnie des
Signaux, suivie d'une introduction en bourse en 1936 ; et enfin
par l'introduction en bourse en 1946 de la SAT, acquise en 1939,
dont Sagem détenait la quasi-totalité du capital.
À la fin de la guerre toutefois, la société
se trouve dans une situation financière critique. Une entreprise
moins dynamique et volontariste aurait sombré, mais deux
produits vont la sauver : la fabrication sous licence des haveuses
pour l'extraction prioritaire du charbon, et la production industrielle
des téléimprimeurs. Parallèlement, dès
les années 50, les commandes d'armement reprennent. En
1955, la société compte 4 200 salariés. Il
faut préciser que chaque activité devait être
autonome et dirigée par un responsable motivé, ce
qui apportait beaucoup de souplesse à l'ensemble.
Avare de paroles et homme d'action
La Sagem allait saisir une dernière évolution technologique,
celle des transistors apparus sur le marché à la
fin des années cinquante. Leur première application
vise à remplacer les cames et embrayages des téléscripteurs
par des dispositifs électroniques. Sa production à
grande échelle assure le développement de la société
dans les années soixante-dix.
Marcel Môme ne connaîtra pas la formidable ascension
de sa société. Alors qu'il est depuis 1944 PDG de
la Compagnie des Signaux, son premier employeur, et grand patron
de CSEE-Sagem-SAT (le groupe G3S), il décède subitement
le 2 mars 1962.
Il avait épousé en 1924 Claudine Masson-Verny, fille
de Félix Verny, directeur à la CSEE. Ils ont eu
quatre enfants dont deux fils, Pierre et Marcel, et deux filles
: Claudine, épouse de Roger Labarre (Cl. 40) et mère
de Georges Labarre (Ch. 66), et Pierrette, sa cadette, épouse
de Pierre Faurre. Peu connu du grand public, Marcel Môme
apparaissait très peu dans les médias. Il est donc
difficile de tracer un portrait de ce personnage. Cependant, on
sait qu'il a marqué, dès l'origine, l'identité
de la Sagem. Il lui a transmis des caractéristiques fondatrices
de son comportement : grand travailleur, avare de paroles, homme
d'action. Il jugeait en outre indispensable le dialogue entre
les différents échelons d'une entreprise, source
d'équilibre pour tous.
Sa fille Pierrette ajoute que "sa réputation d'homme
réfléchi, prenant des décisions mûries
qui s'avéraient justes, entraînait l'adhésion
de ses collaborateurs directs et, en cascade, du personnel".
Sur le plan social, il s'est révélé précurseur
en instaurant des congés payés dès 1929,
complétés par des jours d'ancienneté dès
1934. Ils atteignaient deux semaines en 1935. L'intéressement
aux résultats date des débuts de l'entreprise. La
survie de l'entreprise a nécessité un licenciement
en 1949, mais avec priorité de réembauche, et les
effectifs ont repris leur progression dans les deux ans qui ont
suivi.
On peut compléter cette description par les propos de son
petit-fils Georges : "La gestion était prudente (auvergnate,
NDRL), nous étions près de nos sous - par exemple,
pour le courrier interne, nous utilisions des enveloppes usagées".
Roger Labarre lui succède en 1962 jusqu'à sa mort
en 1999, où Pierre Faurre prend les rênes avant qu'il
ne décède à son tour en 2001.
Sagem a récemment fusionné avec Snecma pour former
le groupe Safran.
Membre bienfaiteur de la Société des ingénieurs
Arts et Métiers, Marcel Môme est devenu chevalier
de la Légion d'honneur en 1952 et officier en 1961. Il
est inhumé à Saint-Cloud.
Edmond De Andréa (Ai. 45)
Dates clés de la Sagem
1925 : Fondation de la société, au capital
de 38 000 euros (250 000 francs à l'époque),
puis 76 000 euros.
1926 : Ouverture de l'usine d'Argenteuil.
1928 : L'entreprise compte 150 ouvriers et son siège
social s'installe rue de Naples, à Paris.
1934 : Acquisition de l'usine de Montluçon, "au
pays" - 883 salariés. CSEE prend une participation.
1936 : Introduction en bourse, avec 1 000 salariés
et un capital de 4,6 millions d'euros.
Début 1940 : Achat du château d'Argentières,
près de Montluçon, qui deviendra le centre Sagem
en zone libre.
1950 : Lancement des haveuses et des téléscripteurs.
1955 : Fondation du G3S. L'entreprise compte 4 200 salariés.
1962 : À la mort de Marcel Môme, G3S est un leader
mondial en télégraphie (télex), gyroscopie
(navigation inertielle), imagerie thermique (infrarouge).
Le groupe emploie 10 000 salariés. |
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