Jules
Ramas (Aix 1885)
"Ardéchois, cœur fidèle" : Jules Ramas vérifiera cet adage tout
au long de sa vie par ses engagements militaires et industriels,
autant que familiaux et sociaux.
Jules Ramas est né le 25 novembre
1869 à La Voulte-sur-Rhône (entre Valence et
Montélimar), dans une famille où l'on cultive
les vertus traditionnelles. Celles-ci marqueront son enfance
studieuse. Son "pays" natal vit alors au rythme
des mines de fer et des hauts-fourneaux. Son parrain est
chef des fabrications dans la métallurgie à
La Voulte et son frère aîné Émile
(Aix 1882) y sera jeune ingénieur. Naturellement,
Jules s'oriente vers les Arts et Métiers qu'il intègre
2e de sa promotion en 1885 pour en sortir major en 1888,
année de la fermeture des usines sidérurgiques
locales.
À sa sortie de l'École, il s'engage et effectue
un an de service militaire. Son parrain Émile Clere
étant devenu entre-temps directeur des usines de
Marquise (Pas-de-Calais), il entre à son tour dans
le groupe. Durant huit ans, il effectue de nombreuses missions
à l'étranger. Il commence avec l'étude
et la construction de l'usine à gaz de Constantinople,
puis se rend dans le même but à Galatz, en
Roumanie. En 1895, il se trouve à Cuba, où
il assure non seulement des travaux techniques de distribution
d'eau, mais aussi la formation du personnel. Il devra fuir
clandestinement vers l'Amérique du Nord à
bord d'un voilier, pour échapper aux violences de
la révolution qui vient d'éclater.
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Malgré ces déplacements multiples,
il trouve le temps de fonder une famille : en avril 1896, il épouse
Marguerite Clere, la fille de son parrain, native comme lui de
La Voulte. Ils auront deux garçons et deux filles. Néanmoins,
l'ingénieur s'expatrie une fois de plus pour travailler
à l'usine à gaz de Corfou.
Son beau-père, qui l'a déjà aidé à
orienter sa carrière à la sortie de l'École,
est passé des usines de Marquise aux Forges de Gorcy (Meurthe-et-Moselle),
en tant que directeur. Jules Ramas suit le même chemin.
Avec son beau-père et son frère Émile, il
participe à la fondation de la société métallurgique
Griffin, dont il assure la direction puis l'administration générale
jusqu'en 1936.
Chargé de mission pour Churchill !
Cette vie professionnelle et familiale menée de main de
maître se heurte à la déclaration de guerre
de 1914. Jules Ramas est mobilisé dès le 2 août.
Le 6, on le charge de la défense du fort de Banbois, près
d'Épinal. Puis il monte en première ligne du front
de Lorraine à Badonviller, en mars 1915. Capitaine mitrailleur,
il est cité à l'ordre de la Division et nommé
chef de bataillon ; il a 46 ans. Jusqu'en 1917, il assure divers
commandements à l'état-major du Génie sur
la demande du général Roques, et invente un procédé
rapide et efficace de pose de barbelés. Il assure par ailleurs
des missions diverses, notamment à Londres auprès
de Winston Churchill, alors ministre de l'Armement, et également
auprès d'attachés militaires italiens et belges.
C'est à titre militaire qu'il devient chevalier de la Légion
d'honneur en 1917, et reçoit des distinctions italiennes
et belges.
À l'Armistice du 11 novembre 1918, on le charge de missions
pour la réorganisation des aciéries françaises
en Lorraine et en région désannexée. Il est
démobilisé en 1919 avec le grade de lieutenant-colonel,
et termine ainsi brillamment une période douloureuse et
héroïque, durant laquelle il a fourni la preuve de
ses qualités de chef, de sa valeur technique, d'un courage
tranquille et d'une grande volonté. Son fils aîné
Émile, engagé volontaire dès 1914 à
l'âge de 18 ans, est blessé à Verdun : il
reçoit la Croix de guerre et la Légion d'honneur.
La fin de la guerre ramène Jules Ramas à l'industrie
lorraine. Son rôle technique à la commission interministérielle
des métaux et fabrications de guerre en 1917 l'amène
à la direction générale du Comptoir sidérurgique
de France, fondé par les 17 aciéries françaises
pour restaurer l'industrie sidérurgique nationale. Ses
compétences sont unanimement reconnues, de même que
ses qualités de caractère et son sens aigu de l'intérêt
général. Devenu administrateur délégué
vers 1925, il assume ce poste jusqu'en novembre 1940, date à
laquelle cette organisation est mise en sommeil.
La période d'entre-deux-guerres va permettre à cet
homme infatigable d'assurer, avec persévérance et
dévouement, de nombreuses fonctions bénévoles,
en priorité dans la Société des anciens élèves
de l'Ensam, où il s'investit dès 1903, par séquences
successives : 18 ans au Comité, dont trois ans comme vice-président,
puis trois années comme président, de 1932 à
1935.
Un personnage très estimé
La haute estime que d'éminentes personnalités portent
à sa conception de l'intérêt général
contribue à étendre le rayonnement de l'École
et le renom des Arts et Métiers. Témoin, la profonde
amitié qu'il reçoit du président de la République
Albert Lebrun.
Sa connaissance de l'École et des besoins de l'industrie
le désigne naturellement au conseil de perfectionnement
de l'École. Il se montre très attentif aux problèmes
existants pour préparer l'École et les gadzarts
à un avenir digne de leur histoire : il y est très
attaché et ne manque jamais de le rappeler avec beaucoup
d'émotion. Également attentif au maintien de la
fraternité, il remarque au cours de sa présence
au Comité que ses membres, de générations
différentes, se connaissent mal. Il institue alors le "dîner
de la relève" pour que les "entrants" et
les "sortants" aient l'occasion de se rencontrer. Cette
manifestation chaleureuse reste aujourd'hui très appréciée.
Son passé de voyageur et sa personnalité entraînent
également Jules Ramas à la Société
des ingénieurs de l'outre-mer : il en devient président
de 1936 à 1946. Cette fonction lui vaut le titre de Commandeur
de la Légion d'honneur. Il devient également conseiller
du Commerce extérieur. Un homme comme lui ne pouvait passer
inaperçu : il est sollicité par le maire de Chatou
dès 1920 pour siéger au Conseil municipal. Il en
devient maire à son tour de 1935 à 1944, et ces
neuf années de mandat se révèlent difficiles.
En 1936, des grèves avec occupation d'usines l'obligent
à assurer le maintien de l'ordre : le gouvernement, débordé,
passe la main aux autorités locales. L'effigie du maire
de Chatou fait alors l'objet d'une parodie de pendaison ! Jules
Ramas fait face avec le courage tranquille et la détermination
souriante d'un Ardéchois entêté !
Après une courte accalmie, le temps de nouvelles épreuves
se profile avec l'année 1939 : une nouvelle fois la guerre
se déclenche, accompagnée de l'Occupation. Ses deux
fils et l'un de ses gendres sont mobilisés. L'aîné,
déjà blessé à Verdun et commandant
d'artillerie, est fait prisonnier en 1940 ; il est père
de quatre enfants. Son fils cadet, Henri, ingénieur du
Génie maritime, est tué le 18 juin 1940 en défendant
Cherbourg. Ayant rejeté l'ultimatum de Rommel, il a retardé
la prise du port et permis l'évacuation de 50 000 Anglais.
Lors de ses obsèques, les honneurs lui sont rendus par
les Allemands. Il laisse quatre orphelins. Le gendre de Jules
Ramas, capitaine d'artillerie, reçoit la Légion
d'honneur et la Croix de guerre ; il a également quatre
enfants.
La ville de Chatou n'est pas épargnée : réfugiés,
ponts sautés, bombardements
Marguerite Ramas assiste
son mari sur place, le relayant au Secours national et à
la Croix rouge.
Après ces nouvelles épreuves, Jules Ramas profite
de sa famille, qui compte de nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants.
Jusqu'à sa fin et malgré son grand âge, il
continuera à servir la communauté gadzarts et à
lui apporter son expérience, avec une jeunesse de cur
exceptionnelle.
Jules Ramas est décédé le 18 juillet 1963
à Chatou à l'âge de 94 ans.
Jean Vuillemin (Pa. 40)
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