WILHEM (Guillaume, Louis Bocquillon dit)- Liancourt 1795-Compiègne 1800

Liancourt, un asile 'bien cher à notre souvenir'

L'ambition qu'avait François Bocquillon à l'égard de son fils l'amène à le rendre aux études et à l'envoyer à l'Ecole Nationale de Liancourt. En juillet 1795, le sac au dos, les manches décorées des haches de sapeur, le jeune Wilhem rejoint le château de Liancourt. L'école à peine installée dans la propriété du duc de La Rochefoucauld, accueille près d'une centaine de fils d'officiers 'défenseurs de la patrie'. Si la discipline très sévère et les privations sont le lot quotidien des élèves, la fraternisation des jeunes gens contribue à les surmonter : " cet asile, où nous étions si malheureux, est bien cher à notre souvenir ; il a vu commencer des amitiés qui sont inaltérables ". Dans un récit de 1834, Wilhem dressera un des rares témoignages sur la vie et le dénuement des élèves de Liancourt de 1795.

Pierre Crouzet, directeur de l'institution de Liancourt distingue Wilhem comme faisant parti des plus recommandables. Ainsi, dans un rapport datant du 7 janvier 1799, le chef de compagnie Bocquillon est cité comme " instruit dans les mathématiques, la fortification, la grammaire, la musique, comme aimé de tous les élèves, respecté par ses subordonnés, estimé par ses supérieurs, comme un modèle d'application, de sagesse et de bonté ". Son goût pour la musique et ses talents pour la composition laissent présager une vocation pour cet art ; d'autant que ses talents sont alors reconnus et encouragés par les fameux Gossec, Méhul et Cherubini.

Du Prytanée de Compiègne à celui de Saint-Cyr

De retour d'exil en 1799, le duc de La Rochefoucauld obtient le transfert de l'établissement à Compiègne. L'école devient alors une composante du Prytanée Français et Wilhem gagne dans cette organisation militaire le grade de capitaine. En 1801, suite aux recommandations de Crouzet, Boquillon est admis au Conservatoire national de musique. Toutefois, les pressions paternelles l'incitent à se tenir éloigné d'une carrière musicale et à poursuivre son apprentissage à Compiègne pendant une année encore.

En 1802, Crouzet est appelé à diriger le Prytanée de Saint-Cyr et Wilhem prend lui aussi le chemin de cette institution où il va exercer la fonction de répétiteur en mathématiques. A la faveur d'une visite du Conseiller d'Etat Roederer, Wilhem fait exécuter un hymne de Gossec par quelques élèves. Le zèle du jeune répétiteur conduit sa hiérarchie à le charger officiellement de donner des leçons sur l'art musical.

Wilhem quitte le Prytanée de Saint-Cyr en 1807, année de son transfert à La Flèche. Un nouvel emploi dépendant du ministère de l'intérieur le met ainsi à l'abri du besoin tout en lui laissant le temps de donner des leçons de musique et de composer des airs longtemps restés populaires : Brennus, la Vivandière, la Bonne vieille, les Adieux de Charles VII, etc.

Une rencontre décisive

Durant cette époque son fidèle ami de Liancourt, Benjamin Antier lui présente un certain Pierre-Jean de Béranger. Ce dernier deviendra l'illustre chansonnier, dont nombre de paroles, seront accompagnées par des airs de …Wilhem.
La chanson ! disait Béranger. La musique et la chanson ! disait Wilhem. Ils devinrent rapidement de grands amis ; ils partageaient les mêmes ambitions, les mêmes attentions. Notamment à l'égard du peuple car pour Wilhem : " enseigner le chant, ce n'était pas seulement distraire le peuple, c'était aussi le moraliser ".
L'amitié profonde qui lia les deux hommes ne se brisa qu'avec la mort.

Le succès d'une méthode

Après une nomination de professeur de musique au Lycée Napoléon en 1810, il expérimente huit ans plus tard une méthode d'enseignement mutuel appliquée à la musique. Encouragé par le succès des premiers résultats, Wilhem étend ses essais à l'ensemble des élèves d'une école parisienne. Le perfectionnement quotidien de la méthode en conforte le succès. En 1820, ses efforts lui permettent d'obtenir la nomination de professeur de chant pour la ville de Paris. Bientôt, son influence n'allait plus se limiter qu'à la seule capitale, car de nombreux visiteurs vinrent étudier la fameuse méthode.

En 1821, puis en 1828 la Société pour l'instruction élémentaire lui décerne des médailles d'argent et d'or; cette reconnaissance est renforcée en 1835 avec la remise de la croix de La Légion d'Honneur et la nomination de directeur-inspecteur du chant.

Inspiré par ce qui se pratiquait déjà en Suisse et en Allemagne, Wilhem voulut constituer une société de choristes. Une fois par mois, il rassembla quelques élèves de divers quartiers parisiens dans un local de l'école du passage Pecquay. Wilhem fonde ainsi la Société de l'Orphéon en 1833. Les nombreux élèves formés selon les principes définis par Wilhem allaient constituer le socle où L'Orphéon allait puiser ses choristes. L'immense succès des réunions publique des orphéonistes contribua également à accentuer la notoriété de Wilhem.

L'hommage à une œuvre et à son géniteur

Tandis que des pays étrangers tels que l'Angleterre et la Belgique commencent à développer la méthode à leurs propres établissements, Wilhem est atteint d'une fluxion de la poitrine. Une semaine plus tard, le 26 avril 1842, ses nombreux élèves et amis ne partageaient plus que d'unanimes regrets. Les magnifiques funérailles qui lui sont rendues, l'imposant cortège qui l'accompagne jusqu'au Père-Lachaise attestent de la grandeur accordée à son œuvre.

Celui qui apparaît comme le véritable propagateur du chant aux écoles françaises, était aussi connu pour son dévouement, son désintéressement exemplaire et son indéfectible persévérance au travail.

Quelques mois avant la disparition de Wilhem, son vieil ami Béranger, poète national lui adresse ces couplets dont la terminaison est tout aussi troublante qu'annonciatrice…

Mon vieil ami, ta gloire est grande
Grâce à tes merveilleux efforts,
Des travailleurs la voix s'amende
Et se plie aux savants accords. Wilhem, toi de qui la jeunesse
Rêva Grétry, Gluck et Mozart,
Courage ! à la foule en détresse
Ouvre les trésors de l'art. (…) D'une œuvre et si longue et si rude
Auras-tu le prix mérité ?
Va, ne crains pas l'ingratitude,
Et ris-toi de la pauvreté.
D'une fée as-tu la baguette,
Pour rendre ainsi l'art familier ?
Il purifiera la guinguette ;
Il sanctifiera l'atelier. (…) Quand tu pouvais sur notre scène
Tenter un brillant laurier,
Tu choisis d'alléger la chaîne
Du pauvre enfant de l'ouvrier. (…) Sur ta tombe, tu peux m'en croire,
Ceux dont tu charmes les douleurs
Offriront un jour à ta gloire
Des chants, des larmes et des fleurs

Frédéric CHAMPLON - Châlons 94

 
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